En ce temps de vacances pourquoi ne pas rendre une petite visite à Illiers- Combray. C’est en Eure-et-Loir, à deux pas de Chartres et à trois d’Orléans. Un petit village cher à Marcel Proust qui y découvrit sa madeleine chez sa tante Léonie. Marcel Proust, Ah, oui ! Tout le monde en parle même ceux qui n’ont pas lu « A la recherche du temps perdu ».
Un monument, dit-on, donc indigeste et tellement barbant en plein été. Erreur. Pour changer d’avis et se faire une véritable opinion il suffit de feuilleter le « Proust pour rire » de Laure Hillerin. Ce « bréviaire jubilatoire de à la recherche du temps perdu » commence par interroger le lecteur. « Comment se fait-il que ce roman, en apparence si « daté, classé » par la société qu’il décrit parle toujours avec autant de force aux lecteurs du XXIème siècle ? », demande l’auteur qui donne immédiatement la réponse, « tout simplement parce que, de l’aveu même de l’auteur, il donne « le moyen de lire en eux-mêmes : en réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument d’optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans ce livre il n’eut peut-être pas vu en soi-même » ».
Contrairement à l’idée reçue l’œuvre de Marcel Proust n’est pas une œuvre intellectuelle. « La Recherche » n’est pas faite d’idées mais d’émotions et de sensations. « La réalité à exprimer résidait, je le comprenais maintenant, non dans l’apparence du sujet, mais à une profondeur où cette apparence importait peu » écrit l’auteur à la fin de « La Recherche ». Il se focalise sur le détail, sur l’individualité pour déboucher sur l’immensité de la vie et se faisant crée une complicité magique entre son sujet et celui qui lit et ce d’autant plus qu’il déploie un humour inattendu. Humour ? Ah, oui, vraiment ! Revenons à la tante Léonie, sœur du grand-père du petit Marcel, veuve de l’oncle Octave et propriétaire de la maison d’Illiers-Combray (Illiers rebaptisé Illiers-Combray en 1971) où l’auteur et ses parents passent leurs vacances. C’est un personnage pathétique et loufoque, «toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité physique, de maladie, d’idée fixe et de dévotion.
Avec son œil et son talent, à partir de cette vielle dame au train-train immuable, Proust dresse la chronique d’une vie minuscule dans un canton et un village qui ont conservé des marques et une atmosphère de cette époque. Il ne juge pas, il dit ce qu’il voit, ce que chacun de ses personnages voit, ce qu’il ressent, l’interprétation qu’il se donne de son ressenti, enfermé qu’il est dans les barrières mentales et sociales qui lui sont propres. Ses chutes sont terribles, comme celle-ci à propos de tante Léonie « Est-ce qu’Eulalie est déjà partie ? Croyez –vous que j’ai oublié de lui demander si Mme Goupil était arrivé à la messe avant l’élévation ! Courez-vite après elle ! Mais Françoise revenait n’ayant pu rattraper Eulalie. C’est contrariant disait ma tante en hochant la tête. La seule chose importante que j’avais à lui demander ! »
Avec douceur et perspicacité
La tante Léonie intéresse en priorité les visiteurs d’Illiers-Combray mais la duchesse de Guermantes, son mari, des virtuoses de la mondanité, les Verdurin , des bobos avant l’heure, d’autres sont tout aussi bien servis : « Il n’y a rien de plus triste que les deuils qu’on ne peut pas porter »… « Zola, un poète ! Mais oui. Que Votre Altesse remarque comme il grandit tout ce qu’il touche. Vous me direz qu’il ne touche justement qu’à ce qui… porte bonheur ! Mais il en fait quelque chose d’immense ; il a le fumier épique ! C’est l’Homère de la vidange ! Il n’a pas assez de majuscules pour écrire le mot de Cambronne… Il l’écrit avec un grand C…- Plutôt avec un grand M, je pense, ma petite ».
En douceur et avec une grande perspicacité Laure Hillerin guide son lecteur vers l’œuvre de Proust. Elle la rend aimable et invite à y entrer vraiment jusqu’à entendre le rire de Proust, « ce rire de collégien qui pouffe derrière sa main fermée, ce rire adouci de vieil enfant, auquel la vie a enseigné, avec la douleur, la tendresse humaine et la pitié ».
Au cœur de l’oeuvre
Mais revenons à Illiers-Combray. On peut y visiter la maison de tante Léonie rachetée par la Société des amis de Marcel Proust et devenue musée consacré à l’auteur dans laquelle l’atmosphère décrite dans « Du côté de chez Swann » est préservée Un peu plus loin se trouve le Pré Catelan, jardin exotique, à l’anglaise, dessiné par Jules Amiot, l’oncle horticulteur de l’écrivain. Les environs récèlent d’autres sites proustiens, le château de Villebon, les sources de la Vivonne, Guermantes, Méséglise. De quoi effectuer un beau voyage au cœur de l’œuvre du romancier.
Françoise Cariès
« Proust pour rire » Laure Hillerin, Flammarion 350 pages 21 euros