Embarquement pour « Dunkerque »

Dans ce film qui retrace l’évacuation des troupes alliées vers l’Angleterre du 26 mai au 4 juin 1940, Christopher Nolan revisite un épisode méconnu de la Seconde guerre mondiale.

Seuls les octogénaires parlent encore de Dunkerque, non pas de la ville qui tutoie la Belgique mais de la poche de Dunkerque, phase ultime de la débâcle alliée  au début de la deuxième guerre mondiale. Commencée le 10 mai 1940, la bataille de France s’est vite révélé un désastre. Encerclés par les Allemands qui ont contourné la ligne Maginot, 400 000 soldats, anglais, français et belges sont pris au piège. Pour eux une seule solution, s’évader de l’enfer par la mer. Du 26 mai au 4 juin, sous un déluge de bombes, harcelés par la  Wehrmacht, 300 000 d’entre eux   parviendront à  monter, pour l’essentiel à bord d’une myriade d’embarcations civiles réquisitionnées pour assurer tant bien que mal leur transbordement vers l’Angleterre et y poursuivre  la guerre contre le troisième  Reich. C’est l’opération « Dynamo », une petite victoire oubliée au sein de la défaite sur laquelle le film « Dunkerque » s’est concentré. 

Christopher Nolan, auteur de succès planétaires comme Hollywood sait en produire (Batman, Inception, Le Prestige, The Dark Knight Rises , Interstellar), n’a pas souhaité  réaliser un film de guerre classique mais montrer une  armée d’hommes jeunes réduite  à son instinct de survie. Dans un paysage d’apocalypse, sur terre, sur mer, dans les airs, les balles sifflent, les avions mitraillent, les bateaux coulent, les hommes meurent, fauchés comme des quilles. Le spectateur est dans l’horreur, dans l’impuissance comme l’étaient les soldats de 40, à découvert sur cette longue plage lisse, cibles permanentes et sans défense. Nolan l’entraine jusqu’au bout de l’insoutenable. Il ne lui épargne rien,  ni les duels aériens entre Britanniques et Allemands, ni les bateaux torpillés transformés en piège mortel, et surtout pas le bruit des balles tueuses qui apportent la mort, au hasard mais sans relache.  La décomposition cubiste, les images d’angles divers et difractés  d’un événement dont la mémoire a du mal à se souvenir  accentuent l’impression d’une nasse mortelle. De ce point de vue  le film est une réussite.

Vision anglo-saxonne

Mais peu de dialogues et pas de personnages au sens plein du terme, Tout au plus des figures dans cette immense fresque d’un désastre dont elles ne sont jamais le centre. On est tenté de ranger cette œuvre parmi les  excellents documentaires, de surcroît à la gloire des britanniques. A peine si la présence des soldats français est évoquée au début du film, rien sur les belges. Pourtant c’est leur résistance  dans la ville qui a permis le si difficile embarquement des tommies prioritaires. Les Allemands ne sont pas d’avantage montrés sinon évoqués à travers leur meurtrière puissance de feu. La ville détruite, en proie aux bombardements n’est pas plus évoquée. Christopher Nolan, fils d’un Anglais et d’une Américaine, impose dans « Dunkerque »  une vision anglaise de l’embarquement. Nous, Français, nous aurions aimé qu’il montre aussi, à ce moment-là l’héroïsme de l’armée française, des 40 000 trouffions qui se sont sacrifiés face aux Allemands bien supérieurs en nombre pour que cet embarquement, aussi précaire qu’il fut, ait lieu. Où est notre première armée qui aux abords de Lille empêcha  les colonnes allemandes de déferler sur le Dunkerquois ?

Il n’empêche que Christopher Nolan a délibérément choisi de tourner son film  sur le lieu du tragique événement, qu’il a engagé 1 380 figurants dont  beaucoup étaient chômeurs et donné du travail aux entreprises locales. La région estime à 4,5 millions d’euros les bénéfices qu’elle a engrangés pendant les six semaines de tournage. Et puis, il y a ce rappel d’un moment d’histoire oubliée qui a conduit la ville de Dunkerque à moderniser son musée, à le rendre attractif et cette promotion mondiale due au film dont le tourisme local ressent déjà les premiers bienfaits.

Françoise Cariès

* Sortie le 19 juillet, durée 1,47 heure

Interview de Christopher Nolan

Mag’Centre : D’où vous est venue l’idée de ce film ?

Christopher Nolan : C’est une histoire avec laquelle j’ai grandi. Mon grand-père est mort dans la Seconde Guerre mondiale. Il était navigateur sur un Lancaster.  En Angleterre  Dunkerque fait partie de la culture, l’esprit de Dunkerque est un mythe national. Les Français  ne veulent pas considérer cet événement. Ils le voient comme une défaite et non pas comme Chrurchill  « une victoire dans la défaite ». Mon envie de tourner ce film résulte des voyages d’étude que j’ai faits en France.

Dunkerque est-il un film de guerre ?

C.N. : C’est un film à suspense. Nous avons poussé ce suspense aussi loin que possible, jusqu’aux tripes. On rentre dans les codes des films d’horreur, indéniablement. Je ne voulais pas être dans l’entre-deux. J’ai pris le parti de ne jamais montrer les Allemands. Ils restent une menace hors champ. De cette façon votre esprit, et même votre éthique pour peu que vous vous identifiez au bon camp dans le film, fait de l’ennemi automatiquement la pire des choses possibles.  Je voulais qu’on soit au côté des soldats britanniques et français, sur le terrain à ce moment crucial de l’histoire.

Etes-vous bouleversé par ce qui s’est passé à Dunkerque ?

C.N. : Bien sûr mais ce qui me bouleverse le plus en fait c’est qu’une fois  ces types secourus, quand ils sont finalement rentrés chez eux, ils portaient sur les épaules un sentiment de honte. Qu’ils aient  été accueillis en héros est pour moi l’un des plus extraordinaires revirements de l’histoire, émotionnellement parlant. Ceci n’a été possible que parce qu’ils ne savaient pas ce qui se passait. C’est seulement dans les journaux qu’ils ont découvert la réalité de ce qu’ils avaient traversé.

Etes-vous inquiet à l’idée que l’histoire de Dunkerque devienne, pour un temps du moins, votre histoire de Dunkerque ?

C.N. : Cela implique une certaine responsabilité dont j’ai pleinement conscience. C’est sans doute l’une des raisons dont le film ne prétend pas à l’exhaustivité. Je ne traite pas des aspects politiques. Je ne traite pas le contexte global autour de Dunkerque, ce serait une trop grosse responsabilité que d’essayer de le faire. Je ne veux pas assumer les implications plus larges de l’Histoire. Le film revendique une certaine simplicité qui permet au spectateur d’imaginer d’autres choses, d’autres histoires.

Recueilli par F.C.

Commentaires

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  1. Weekend à Zuydcoote le livre de Robert Merle relatait pas l’embarquement à Dunkerque des soldats anglais et canadiens,sous une forme romancée…

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