Le Cercil proposait ce mardi soir, une conférence sur la langue internationale, l’espéranto et sur son inventeur Louis Lazare Zamenhof. Mais pourquoi cet intérêt du Cercil pour le projet de langue de la fraternité mondiale inventée par un opticien juif de Varsovie ? Tout simplement parce que dans les archives du camp d’internement de Pithiviers, le Cercil a découvert plusieurs photos de groupes d’hommes posant autour de panneaux indiquant “Cours d’espéranto” comme des photos de classe.

dr CERCIL
Cherchant la signification de ces photos d’hommes qui furent tous déportés à Auschwitz quelques mois plus tard, le Cercil a découvert qu’il existait bien des cours d’espéranto dispensés par un médecin, le docteur Bokser qui s’évadera lui avant sa déportation grâce à sa femme et la complicité d’une famille pithiveraine.
Ces hommes internés dès 1941 au camp de Pithiviers faisait partie de la première rafle anti-juive sur Paris, rafle dite du “Billet vert”, rafle qui n’en n’était pas vraiment une puisque ces hommes se rendirent à une convocation policière de couleur verte à laquelle ils eurent la naïveté d’obéir. Ces hommes étaient pour la plupart des juifs immigrés représentant pas mal de nationalités et l’on peut comprendre l’intérêt qu’ils trouvèrent à apprendre cette langue “universelle”.
Leur fut-elle utile dans l’enfer de la déportation, on ne le saura jamais puisque aucun n’en revint…

Benjamin Bokser, Marie Gaudin et Madeleine
Benjamin Bokser, fait partie des 3 700 hommes arrêtés le 14 mai 1941 par la police française, à la demande des Allemands, et transférés le jour même dans les camps d’internement de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Interné à Pithiviers, il occupe les fonctions de docteur à l’infirmerie et anime aussi le groupe d’Espéranto.À l’été 1941, Marie Gaudin, habitante de Pithiviers, loue une chambre à Madeleine, la femme de Benjamin afin qu’elle puisse rencontrer son mari autorisé à sortir seul du camp pour se rendre à la pharmacie. Sa fille et son gendre,
Geneviève et Robert Giry organisent son évasion le 14 mars 1942. Benjamin et sa femme, Madeleine resteront en lien avec la famille Gaudin-Giry-Fauvin jusqu’à leurs décès survenus en 2003 et 2005.
L’esperanto langue universelle
Mais revenons à notre Dr Zamenhof et son idée de langue universelle. Né en 1859, Juif lituanien à une époque où Vilnius était appelée la Jérusalem du nord, il grandit à Byalistok, au nord-est de la Pologne actuelle dans une famille cultivée, au milieu d’un melting pot linguistique où se côtoient les langues polonaises, russes allemandes,et yiddish. Dès avant ses études de médecine, il élabore un projet de langue universelle et sa passion linguistique lui fait maitriser le russe, le polonais, l’allemand, l’hébreu et le yiddish. Il connaissait bien le latin, le grec ancien, l’anglais et le français, assez bien l’italien, et avait aussi quelques connaissances d’araméen.
Son projet reposait sur une comparaison grammaticale et lexicale de toutes ces langues pour trouver la solution la plus simple et la plus facile à mémoriser pour s’exprimer, et en 1887 il publie un fascicule qui donne les bases de la syntaxe de l’esperanto.
Très vite l’esperanto connait une diffusion en Europe, une association mondiale se crée et les horreurs de la guerre de 14-18 vont renforcer le sentiment pacifiste et le besoin de compréhension entre les peuples. Jean Zay, ministre de l’instruction publique, prendra même la décision en 1938 d’autoriser son enseignement dans les lycées. Interdit par les nazis dès leur prise de pouvoir, l’esperanto connaitra un certain déclin après la deuxième guerre mondiale.
Le docteur Zamenhof nous parle en esperanto:
L’avenir d’une utopie
Certes, l’utopie universaliste du Dr Zamenhof peut sembler un peu datée, il reste que cette langue qui vise à favoriser l’échange entre les peuples et qui selon les spécialistes, s’apprend dix fois plus vite que l’anglais devrait pouvoir trouver sa place dans le projet européen. Que de temps perdu et de difficulté de compréhension qu’impose l’usage de plus de trente langues au parlement européen, et à l’heure du brexit, ne serait-il pas temps de mettre fin à l’usage imposé de l’anglais pour tous les enseignements dispensés dans le cadre d’Erasmus ?
Après tout, la fraternité linguistique pourrait être aussi un beau projet pour l’Europe !
Gérard Poitou
https://esperanto-france.org/
Prochaine rencontre du CERCIL
Natan, le fantôme de la rue Francoeur
film documentaire de Francis Gendron, Alain Braun et Alain Tyr, France, Métaction / Label Vidéo, 2017, 60 min.
En 1927, Bernard Natan, français d’origine roumaine, né Natan Tannenzapf, inaugure les studios de cinéma de Montmartre. Quelques années plus tard, il prend la direction de la firme Pathé qui devient Pathé Natan. Bernard Natan va profondément réorganiser l’entreprise et en assurer le succès. Mais la crise des années 1930 plonge le pays dans la tourmente et Bernard Natan devient la cible de la presse d’extrême droite. En butte à une campagne antisémite d’une rare violence, il est arrêté en 1938, déchu de sa nationalité française et livré aux Allemands en 1942. Déporté à Auschwitz, il y mourra peu de temps après.
Mardi 20 mars 2018 à 18h
Cercil 45 Rue du Bourdon Blanc, 45000 Orléans