Armistice: temps de Toussaint

Après l’été indien et la sécheresse, les brutales intempéries de fin octobre ont encore souligné les ravages déjà présents du réchauffement climatique, triomphe sur le fond des thèses environnementales dont les Verts allemands commencent à tirer les fruits électoraux, alors que le départ de Nicolas Hulot du gouvernement n’a pas suffi à créer un électrochoc salvateur au sein de la galaxie écologiste française.

                                                                                        Par Pierre Allorant

Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames, témoigne de la violence des combats de 1917.

Dans cet entre-deux qui nous mène de la Toussaint au 11 novembre, en une sorte de Mémoires d’Outre-tombe, le climat politique mondial demeure particulièrement pesant, lourd d’incertitudes et de réminiscences, même si la « concordance des temps » n’est jamais reproduction à l’identique du passé. Clôturant un cycle de quatre années de commémorations, présidées par le grand historien

Antoine Prost.

orléanais Antoine Prost, président de la Mission Centenaire 14-18, la « tournée des popotes », ou plutôt des lieux des mémoires des guerres, qu’entame Emmanuel Macron résonne d’autant plus vivement qu’il a mis en avant des similitudes avec l’atmosphère politique délétère de l’Europe de la fin des années Vingt, y compris par le truchement d’une vidéo taxée de propagande pour sa mise en scène manifestement orientée de l’affrontement binaire des progressistes et des national-populistes.

Eaux lourdes sur l’Eglise: le silence sans le pardon

O. Savignac, une des victimes du père de Castelet.

Alors que les chrysanthèmes fleurissent les tombes, l’Eglise catholique affronte quant à elle l’une de ses pires crises morales, au risque de dénaturer dans le sordide l’évangélique « laissez venir à moi les petits enfants ». Au nom de la justice des hommes, le procureur de la République d’Orléans a parfaitement situé le débat en terme de fuite devant les responsabilités, de lâcheté et de loi du silence trop longtemps tolérée en matière de crime à l’égard de vies à jamais brisées. S’il est caricatural de réduire la lourde question de la pédophilie au célibat des prêtres, l’Eglise ne saurait se contenter de la manifestation organisée à Lourdes le week-end dernier. Il est bien d’écouter – enfin ! – les victimes, il serait mieux d’entendre leur souffrance et leur droit à la justice à travers une commission d’enquête parlementaire qui honorerait l’Assemblée nationale, puisque la commission des lois du Sénat a malheureusement décliné l’offre. Comme l’exprime lumineusement le groupe de Témoignage chrétien mené par Christine Pedotti, auteure de Jésus l’homme qui préférait les femmes, si l’Eglise ne sort pas par le haut de ce drame, elle deviendra définitivement un bien triste musée. Les gardiens du temple auront préservé sa souveraineté, mais à quel prix si les familles perdent toute confiance à l’égard d’éducateurs ?

Souveraineté

Jacques Lafleur et Jean Marie Tjibaou 1988

La souveraineté, c’est bien la question centrale du débat actuel, en Europe comme aux antipodes, du côté de la « Kanaky-Nouvelle Calédonie » qui, au lendemain du rejet de l’indépendance, devra trouver les voies renouvelées d’une association avec la France, chemin tracé par Edgard Pisani sur les traces de la fameuse « indépendance dans l’interdépendance » chère à l’autre « Edgar sans d », Edgar Faure pour le Maroc en 1956.

Le principe révolutionnaire de souveraineté est intimement lié à la liberté et à l’expression du peuple dans le cadre de la nation. Mais quand il est brandi par des gouvernements populistes pour rejeter les termes d’un contrat confédéral, celui de l’Union européenne, la notion se brouille. S’il est incontestable que le budget et la politique économique ou migratoire d’un Etat appartient à ses organes démocratiquement élus, être membre d’un ensemble plus vaste comporte des règles préservatrices de l’intérêt commun. Les mêmes qui aujourd’hui saluent l’obstination du gouvernement italien, ce mélange explosif du nationalisme et du dégagisme, en perdition sur la route du Rome – ou plutôt de la marche sur Rome – et la haine du Rom et de l’Africain, trouveraient-ils juste demain que le contribuables français, pourtant tout aussi « souverains », en paient les pots cassés sous l’effet d’une hausse des taux d’intérêt au sein de la zone euro ? A l’heure où les élections à mi-mandat vont fournir un signal clair sur les chances – les risques – pour Trump de briguer en 2020 un second mandat, l’insécurité internationale aggravée milite pour une solidarité européenne renforcée, pas pour des postures de matadores.

Le cimetière des éléphants et le bal des revenants, Casino royal

Ségolene Royal

La Toussaint oblige, ou sans doute la célébration la plus dévoyée d’Halloween, l’actualité politique oscille entre un cimetière des éléphants qui se remplit, avec la retraite annoncée d’une chancelière allemande de plus en plus démonétisée – mais n’est-ce pas une attitude rassurante, comparée à l’ubuesque énième et désespérante candidature fantôme de Bouteflika à la présidence  de l’Algérie ? – , et le bal des revenants sur la scène française, des planches judiciaires promises à Nicolas Sarkozy aux planches savonnées du théâtre européen offertes au come-back inattendu de Ségolène Royal. Si l’on se souvient des ricanements, des coups de poignard dans le dos et des bâtons dans les roues de sa campagne présidentielle de 2007, le Canossa récent des dirigeants résiduels du PS ne manque pas de sel. Mais il faut reconnaître que face au « désert d’avenir » d’une liste strictement estampillée de l’ancien parti dominant, l’ancienne « Zapatera » est sans doute la seule chance de conjurer non le déclin, déjà acté, mais bien le risque de disparition électorale sous l’étiage des 5%.

La justice sociale ou « l’identité malheureuse »: retour à Ceux de 14.

Et pourtant ! Sur le fonds, le terrain serait propice à une affirmation des exigences de justice sociale. Tant l’on mesure bien que la redistribution fiscale depuis dix-huit mois, ce « Robin des bois à l’envers » qui bénéficie à plein aux 1% des plus riches contribuables, ne provoque ni une relance de la consommation, ni une perspective mobilisatrice pour une société. Pire, l’explosion depuis un tiers de siècle des inégalités de revenus et encore davantage de fortune aux Etats-Unis et à un degré moindre en Europe, minent les sociétés démocratiques fondées depuis la Libération sur l’espoir de redistribution et d’ascension envisageable pour ses enfants.

Loin d’être uniquement une utopie passéiste, une nostalgie à la Franck Capra, l’exigence de justice sociale est, avec l’impératif environnemental, le seul complément efficace au libéralisme économique. Sans cela, ni développement durable, ni barrage tenable contre la pire des inondations : le déferlement de la vague populiste, plus seulement à Varsovie, Rome ou Budapest, mais à Washington, Berlin et Paris. En un mélange détonnant de fièvres des années Trente et d’aveuglement des égoïsmes nationaux des « somnambules » de l’été 1914.

Hélène Mouchard-Zay au Panthéon lors du transfert des cendres de son père.

Dans ce climat, trois ans après Jean Zay, l’entrée au Panthéon d’un autre grand Orléanais très admiré par le jeune avocat radical et ses amis Abraham, Berthelot et Secrétain, Maurice Genevoix, prendrait tout son sens. Au nom de l’amour de la Loire, de la nature et des hommes meurtris par la brutalisation et la cruauté de la guerre. Loin des orages d’acier des Eparges, le bonheur retrouvé de la paix et de la vie à Châteauneuf-sur-Loire, à Brinon-sur-Sauldre, puis aux Vernelles à Saint-Denis-de-l’Hôtel.

Déja voisins de plaques sur l’ancien lycée Pothier, Jean Zay et Maurice Genevoix feraient, pour bien davantage que Trente mille jours, bon voisinage au Panthéon, dignes représentants de ce Val de Loire, terre des hommes.

P.A

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