“Pourquoi ont-ils tué Jaurés ?” (Jacques Brel)

Jean Jaurès 1904 par Nadar

Plutôt Jaurès que Pétain

En cette période de commémoration qui tourne parfois à la réhabilitation rampante dans un discours qui encore une fois tend à confondre patriotisme et justification de la guerre, il est un personnage historique qui passe aux oubliettes de l’Histoire dans un grand décérvellement de la pensée politique. Peut-être serait-il plus utile pour défendre la cause de la paix en Europe d’honorer Jaurés que Pétain ?

Jaurés assassiné

Jaurés fut rappelons-le, la première victime de cette Grande Guerre, assassiné  à la veille de la déclaration de guerre, le 31 juillet 1914 par un assassin traité habilement d’illuminé et gracié en 1919. Et à propos de cet assassinat, on ne pourra jamais pardonner la responsabilité morale de Charles Péguy, tant célébré à Orléans, lui qui rangeait dans le camp de l’ennemi son ancien ami socialiste écrivant des phrases dignes de l’extrême droite la plus odieuse en  qualifiant dans “l’Argent”, Jaurès de “L’homme qui représente en France la politique impériale allemande[…]”” le traitre par essence.”Il a essayé de trahir la France au profit de la politique allemande”… sortes de fake news avant l’heure !

Le paradoxe Jaurès

Monument Jaurès à Carmaux

Le personnage historique de Jaurés est un paradoxe dans la mémoire française: panthéonisé dès 1924, il fait partie des trois ou quatre français les plus honorés par le nombre de monuments, de rues, de boulevards et d’avenues qui portent son nom. Pourtant Jaurés est inscrit aux oubliés de ces commémorations, son discours sur la montée du danger de la guerre dont il percevait le désastre annoncé, est bien peu rappelé et est le plus souvent caricaturé dans un pacifisme naïf voire assimilé au pacifisme anarchiste de l’époque qui prônait le refus pur et simple de l’armée. Pourtant Jaurés connaissait et défendait le patriotisme de la classe ouvrière française:

“Malgré l’abus des formules paradoxales, le prolétariat, pour protester contre les formes bourgeoises et capitalistes de la patrie, jeter l’anathème à la patrie elle même, il se soulèverai tout entier le jour où réellement l’indépendance de la nation serait en péril. Et il débarrasserait la patrie des gouvernements de corruption et d’aventure pour mieux préserver, avec la paix du monde, l’autonomie nationale. La vaine outrance des paradoxes anarchistes ne résisteraient pas une minute, un jour de crise, à la force de la pensée ouvrière complète qui concilie l’international à la nation.”
“L’Armée nouvelle” Jean Jaurès 1910 (citation communiquée par Antoine Prost)

Jaurès, le patriote pacifiste

Discours de Jaurès au Pré-Saint-Gervais (25 mai 1913)

Jaurés avait parfaitement compris le mensonge éhonté d’un état-major soutenu par les politiciens français de l’Union Sacrée qui vendait, à qui voulait l’entendre, une guerre qui serait courte et sans bavure conduisant l’armée française aux portes de Berlin en moins de six mois. Difficile d’appeler une telle incurie “patriotisme” ! Et ce sont les mêmes qui après l’armistice avec l’Allemagne, obtenu de fait par le président américain Wilson, pour masquer leur responsabilité dans le désastre dans lequel ils avaient entrainé l’Europe, transformèrent l’Allemagne vaincue en coupable devant expier ses fautes, conduisant à un traité de Versailles fait d’humiliation et de punition, là où les pacifistes auraient du parlé coopération et intégration: on connait la suite…

Jaurés n’a pas attendu juillet 1914 et son ultime tentative d’organiser une grève ouvrière pour arrêter la machine infernale, et n’en déplaise à Péguy, Jaurès, même si une aile gauche anarchiste de la SFIO le lui reprochait, était un patriote convaincu et s’est particulièrement intéressé à la question de l’armée dans un livre publié en 1910, en marge du débat parlementaire, intitulé “l’Armée Nouvelle”.

Certes, les enjeux stratégiques ont totalement changé depuis un siècle, mais face à la mondialisation économique et migratoire qui induit la montée de plus en plus évidente des nationalismes avec la réactivation de conflits historiques, il devient  urgent de reformuler une pensée politique internationaliste et pacifiste…

Gérard Poitou

Le Jardin de la Paix (Vierzon)

Commentaires

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  1. voilà ce que devrai être la réflexion et la célébration du centenaire du 11 nov 1918 ;
    non pas la glorification de la “Victoire ” mais la célébration du retour à la Paix …après 4 ans d’atrocités qui n’ont servi que les bénéfices des profiteurs de guerre et les haines ultérieures!!

  2. Merci de rappeler tout cela.
    C’est très bien résumé.
    Bravo encore une fois Mr GP !!!

  3. Je partage totalement les propos de GP et les commentaires déjà publiés.
    Quelle faute quand on prétend vouloir oeuvrer pour la paix d’avoir “oublié” de rappeler Jaurès et les valeurs d’humanisme et de raison qu’il a représentées dans son combat contre le déclenchement de la guerre!

  4. Notre Président, qui pourtant a des lettres et quise flatte d’avoir été l’assistant de Paul Ricœur, philosophe lui, aurait pu effectivement saluer la mémoire de Jaurès au lieu de faire un distinguo entre Pétain le Maréchal et Pétain l’homme politique de sinistre mémoire,tentative qui échoué minablement, on l’aurait mal compris dixit son entourage…

  5. je suis d’accord avec ces réflexions ! moi, ce onze novembre, j’avais sortie mon drapeau du mouvement de la Paix, personne n’a fait “ouf “personne n’a oser me sourire encore moins me féliciter ! mais j’aimerai connaître leurs pensées
    ! je montre mes idées et ce n’est pas à 82 ans que je vais changer !
    Claudette DETRY-MOREAU

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