Le Petit Prince-President

Il y a tout juste 170 ans, le 10 décembre 1848, à la surprise générale, quelques mois après l’instauration du suffrage universel masculin, une première au monde, un jeune candidat, inconnu de l’opinion en-dehors de son patronyme, emportait triomphalement (avec 76% des voix) la première élection présidentielle organisée en France. Il s’appelait Louis-Napoleon Bonaparte et devint le « Prince-President » d’une éphémère Seconde République.

Par Pierre Allorant

La société française et la vie politique ont profondément changé depuis l’industrialisation et les grands travaux ferroviaires et d’urbanisme conduits par Napoléon III. Toutefois, le défi que le Président de la République doit désormais relever entre en résonance avec celui qu’affronta le régime bonapartiste en tentant de devenir libéral, parlementaire et davantage à l’écoute des territoires, après la dénonciation par les oppositions d’une pratique très autoritaire et d’une collusion avec les milieux d’affaires. Cette mue tardive fut même plébiscitée par le corps électoral, peu avant que la débâcle face à la Prusse ne vienne mettre à bas cette construction complexe en septembre 1870, comme l’a montré Éric Anceau.

Ces Princes qui nous gouvernent

2018 n’est bien entendu ni 1848, ni 1868. Et pas même 1788 ou 1968 (que de millésimes en 8!) même si la jacquerie des gilets jaunes et leurs doléances tous azimuts, le sentiment de retrouver une dignité en sortant de l’isolement individuel pour débattre de politique rejouent en partie avec la mémoire du mouvement social, des occupations d’usine de 1968 aux grèves de 1995 contre le gouvernement Juppé.

Pour paraphraser Michel Debré, lui-même pur modèle de la méritocratie héréditaire et endogamique des Grands Corps de l’État, les « Princes qui nous gouvernent », bien loin de l’empathie suscitée par le Petit Prince de Saint-Exupéry, dont le modèle fut incarné par le ligérien Pierre Sudreau, nourrissent un rejet proche en ce moment d’une détestation inquiétante.

Quand le peuple ressent les élites comme totalement extérieures à lui, que reste-t-il du contrat social ? On mesure bien actuellement l’effet ravageur de ce sentiment de divorce sur ce qui fait société : le lien entre le service public, la puissance publique et la contribution des citoyens éclairés au fonctionnement de l’État. L’une des leçons de la crise présente est bien ce brouillage du sens, cette perte de repères entre l’acquittement de l’impôt et des taxes et les politiques menées avec pour objectif affiché le « bonheur des peuples » et non la seule gloire du prince, pour reprendre la catégorisation du tournant du siècle des Lumières par Michel Foucault.

L’Histoire va-t-elle plus vite ? La peau de chagrin quinquennale

Vieille angoisse analysée par Thucydide puis par Condorcet, le thème du vertige de l’accélération de l’histoire avait donné lieu à un essai stimulant de Jean-Noël Jeanneney en 2001. Or, depuis au moins trois quinquennats, l’usure galopante de la légitimité de l’onction élective frappe. Après Sarkozy et Hollande, Macron éprouve cette démonétisation précoce, comme si le mandat présidentiel se réduisait en réalité à trois semestres pour agir, à l’instar d’un simple représentant au Congrès américain. Soixante ans après, la Cinquième République apparaît à bout de souffle, victime de « l’accélération de l’histoire » régulièrement avancée. Ne serait-il pas temps d’en revenir aux trois intuitions du général de Gaulle destinées à répondre au malaise des jeunes et des salariés il y a un demi-siècle : la participation, l’intéressement et la décentralisation ?

Macron II. La République à refaire et la maîtrise de soi

À la lecture du parcours de météore d’Emmanuel Macron, comment ne pas relire celui du surdoué de la Troisième République, « l’homme pressé », le « mirobolant » André Tardieu dont le titre des ouvrages trace comme une liste de chantiers à mener : La Réforme de l’État, L’Heure de la décision (1934), La Révolution à refaire (1936 et 1937).

Mais à rebours de la dérive autoritaire de Tardieu, c’est à recoudre le tissu social, l’unité nationale et la République sociale, environnementale et décentralisée que tous les acteurs doivent aujourd’hui s’employer.

L’avenir vient de loin. La contestation, une chance pour la France

Précisément, l’intervention solennelle du président de la république lui a donné l’occasion de faire son mea culpa tout en présentant cette crise profonde comme « notre chance », celle de la reconnaissance de la France « qui se lève tôt et revient tard », des oubliés des 40 années d’un malaise qui « vient de très loin ».

Avec des accents résolument sarkozyens, le réformateur de retour a décrété « l’état d’urgence économique et sociale » et égrener les premiers signes concrets d’une revalorisation du travail, d’une prise en compte des chantiers du quotidien, des enjeux d’une transformation profonde de l’État, du système d’indemnisation du chômage et des retraites.

Au bonheur des maires. Le Banquet et la République

Pour renouer avec le projet collectif démocratique et affronter les « dettes budgétaire et climatique », c’est, plus encore que vers les partenaires sociaux et associatifs, – et bien davantage qu’en s’appuyant sur un premier ministre à peine évoqué pour la forme – vers les gros bataillons des maires qu’il s’est tourné afin de relayer le débat dans chaque région, prendre le « pouls vivant du pays » et « bâtir le socle de la nation ».

Comme la Troisième République sut sortir de la contestation boulangiste en 1889 puis de l’affaire Dreyfus en 1900 en invitant à un gigantesque banquet à Paris des dizaines de milliers de maires ruraux, c’est bien le magistrat de la cellule de base de la vie sociale qui va être mis à contribution, ce dernier refuge de la confiance de citoyens revenus de tout.

Retour à Tocqueville, à la commune « école de la démocratie », en définitive logique chez ce libéral, qui avait perdu en route sa fibre girondine. Avec l’espoir que dans trois ans, la France apaisée, plus justement représentée et associée aux fruits de l’économie, n’aura pas à lui retourner sa formule, digne de Barbara : « Mon seul souci, c’est vous ». Dans le cas inverse, ce serait alors être condamné à ce qui menace nos voisins britanniques : une sortie, aggravée d’un « No deal ».

Pierre Allorant

Commentaires

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  1. Mes activités de bénévoles côtoyant quasi journellement des personnes en “état de pauvreté”, je ne puis que me féliciter des annonces qui pourront améliorer leur sort au quotidien.
    En ce qui concerne la suppression de la CSG aux seuls retraités dont la retraite est inférieur à 2000 euros/mois, cela me semble assez surprenant. Lorsque l’on regarde les salaires de nombre de nos élus et de nos gouvernants, on se demande comment ils peuvent considérer qu’au dessus de 2000 on est des riches; je me considère plutôt comme un “non pauvre”, c’est à dire quelqu’un qui peut vivre normalement et, en nos temps difficiles peut être un peu privilégié. Sommes- nous vraiment des privilégiés, nous qui avons cotisé pour nos anciens, qui avons travaillé plus de 35 heures durant une bonne partie de nos carrières, qui n’avons plus la possibilité de compléter nos revenus par des heures supplémentaires, nous qui effectuons, pour bon nombre d’entre nous, des activités bénévoles proches assez souvent de ce qui devrait être pris en charge par les services publics???
    Alors, “No deal”. Oserais-je écrire la traduction de la façon suivante: pas de … “marchand d’âge”?

  2. Absolument d’accord avec M. Le Douarin pour son commentaire et bravo pour vos bénévolats.
    Même si je suis à plus de 2000 €, je m’estime heureux comparativement à des revenus indécents.
    A 1995 € on est “pauvre”, à 2005 € on est “riche”, bêtement ridicule cher Président Macron et conseillers de tous poils, vous êtes des mauvais en tout, des schpountzs !
    Mes revenus annuels, grâce à vous, ont diminué de 1200 €, je paie toujours plus d’impôts (qu’est ce cette histoire de taxe d’habitation ?)
    Donc je suis un riche (peut-être le plus riche de mon HLM), personnellement une partie de ce que je gagne en tant que retraité, permet d’arrondir les fins de mois de ma fille et d’offrir des activités culturelles et de loisirs à mes petits enfants (nombreux les petits enfants) !
    Financièrement, ça me coûte un bras, je ne le regrette pas, et il m’en reste encore pour les imprévus, j’ai beaucoup de chance, j’ai travaillé pour, j’ai beaucoup donné (même un infarctus) !
    Putain, mais comment fait-on pour vivre avec un smic et même 1300/1400 € ?
    Ah oui, justement on ne vit pas, on traîne sa vie. Dites donc Brigitte et Emmanuel, essayez donc, venez nous montrer !
    J’ai fait carrière dans le milieu bancaire et les “pauvres” j’en ai toujours connu, même avant l’euro, ils venaient me voir en milieu de mois pour 100 F et avant la paie et les allocations pour encore 50 F. Ce n’était pas mon job le social, d’ailleurs on m’a souvent reproché de perdre mon temps et d’en faire perdre à la banque.
    Ensuite, j’ai travaillé dans un service pré-contentieux (même établissement), je peux m’enorgueillir d’avoir sauver la mise à de “pauvres gens de bonne foi”.
    Je suis de droite, enfant de fonctionnaires/bourgeois, élevé religieusement et justement pour moi c’est “l’humain d’abord” (beau slogan).
    Dans ma famille je fais tâche matériellement, mes frères et soeurs sont blindés de tunes et parmi eux des gens de gauche et des macroniens (tous fonctionnaires et intellos) !

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