Bonne année électorale, bonne santé démocratique !

La période des vœux offre l’opportunité de présenter des souhaits d’accomplissement à autrui, tout en prenant librement des engagements ou de bonnes résolutions envers soi même. Pour Emmanuel Macron, ce président qui « marchait sur l’eau » jusqu’à la mi-juillet, le Capitole de l’euphorie nationale de la victoire en coupe du monde a été très proche de la Roche tarpéienne de l’affaire à rebondissements de Benalla.

Par Pierre Allorant                                        

Le Président de la République a adressé ses voeux aux Français debout.

D’ici au 15 janvier, lancement de la grande consultation, le chef de l’Etat joue son quinquennat à quitte ou double. Soit il réussit à tourner la page de ce « semestre horribilis », soit il reste plombé et avec lui, toute possibilité d’agir utilement pour le pays d’ici 2022. Jacques Chaban-Delmas avait projeté il y a près d’un demi-siècle de débloquer la société française, non « par décret », mais par le dialogue ; l’excès de confiance, des expressions à l’emporte-pièce et un déséquilibre droitier des réformes entreprises ont réussi à paralyser un hexagone morcelé fin 2018.

Souveraineté du peuple. Remettre les démocraties en marche avant

Plusieurs termes du vocabulaire politique ont fait florès à la faveur du mouvement social, comme si la propension du candidat Macron à user d’expressions… jaunies, un brin obsolètes, avait fait tache tuile chez ses opposants.

C’est tout particulièrement le cas des mots « peuple », « souveraineté » ou encore « référendum » remis au goût du jour, sans parler du caractère « sacré » que peu d’observateurs s’attendaient à voir accolé à la laïque personne du député insoumis de Marseille, sans doute rassuré par le fait que le ridicule n’a jamais tué le club olympien. Que le peuple soit souverain en démocratie, quoi de plus légitime ? Pareillement, la racine antifiscale de la révolte n’étonnera guère, tant les régimes parlementaires et la responsabilité des gouvernements sont nés de ce désir de contrôler l’emploi et l’origine de l’argent public.

En revanche, sauf à prétendre renouer, d’un clic numérique, avec la démocratie directe des Athéniens – modèle excluant femmes, étrangers et esclaves – la démocratie moderne passe principalement par la délégation et la représentation, certes imparfaite, reposant sur la confiance, mais sans cesse perfectible. C’est en cela qu’exiger aujourd’hui la démission d’un président élu il y a un an et demi, ou bien la dissolution de l’Assemblée nationale, voire le changement de régime à coups de « RIC » n’est ni sérieux, ni responsable.

Consulter sans dérive

Le Référendum d’Initiative Citoyenne semble être devenu l’alpha et l’oméga de la démocratie des ronds points. Il existe pourtant de longue date chez nos voisins suisses qui ne sont, a priori, pas des modèles dans la lutte contre l’évasion fiscale, autre chantier priorisé par les « gilets jaunes ». Prendre en compte les pétitions, écouter les doléances, consulter avant la prise de décisions et saisir davantage le peuple entre l’élection des parlementaires, bien des régimes l’ont fait depuis belle lurette, de la Révolution française à la si vilipendée République gaullienne. Au plan communal, cette consultation existe, et même à une échelle plus vaste : qui se souvient du référendum départemental sur l’avenir de Notre-Dame-des-Landes, de ses résultats et des sentiments mélangés que peuvent ressentir les citoyens de Loire-Atlantique sur l’incohérence des paroles successives de l’Etat ?
Bien pire encore, généraliser sans garde-fou le RIC, le sanctifier comme unique source chimiquement pure de la Vox populi, c’est s’exposer demain à des mises en cause de droits fondamentaux, à des réponses dangereuses à des questions qui n’ont pas lieu d’être, inconstitutionnelles ou liberticides, sur le rétablissement de la peine capitale, la suppression de la loi Veil ou de la loi Taubira, la réduction des droits des résidents étrangers. Est-ce vraiment à cela qu’aspirent les Français de 2019 ?

Traduire sans trahir

Autre contradiction sur la thématique de la souveraineté : Les mêmes qui dénoncent, sans se lasser, la « trahison » – en fait le contournement par les États souverains par Le truchement du traité de Lisbonne – des résultats du référendum constitutionnel européen de 2005, avec des arguments recevables, s’offusquent aujourd’hui de la perspective de redonner la parole au peuple britannique face à l’impasse parlementaire et aux tromperies manifestes des prophètes du Brexit. Comprenne qui pourra. Mais si révoquer les élus en cours de mandat doit être limité à des cas extrêmes, définis à l’avance par la loi, le référendum, quel qu’en soit l’initiateur, peut, c’est vrai, redonner de l’air à une démocratie qui étouffe.

Référendum sans plébiscite. Un QCM pour trancher le grand débat ?

Il n’en reste pas moins urgent, non pas uniquement pour le pouvoir actuel, mais pour la bonne santé démocratique de notre pays, de trouver une sortie de crise par le haut. Lors de l’unique renversement d’un gouvernement par une motion de censure sous la Cinquième République en 1962, c’est bien la voie référendaire qui avait permis de choisir entre deux conceptions du régime : le président arbitre ou l’élu direct du suffrage universel, en charge de l’essentiel. C’est également par un Référendum que le général de Gaule avait tenté en vain, en avril 1969, après une crise sociale majeure, de reconquérir la confiance des Français par la participation, l’intéressement, la décentralisation régionale et la réforme institutionnelle.

Faire le pari du débat d’idées

Le pari est donc risqué, mais existe-t-il une alternative pour Emmanuel Macron ? Changer de Premier ministre maintenant, avant le cap de désespérance des Européennes, c’est risquer de griller une cartouche prématurément. Le couplage de questions a priori populaires, à choix multiples ou non (réduction du nombre de parlementaires et du cumul des mandats dans le temps, introduction d’une dose de représentation proportionnelle, reconnaissance du vote blanc) avec le scrutin européen aurait le mérite de mettre tous les protestataires et les oppositions face à leurs contradictions, pour tenter de stopper le syndrome du chamboule-tout permanent, ouvert par le dégagisme de 2017 et dont la dernière quille renversée est la présidente de la commission du débat public, Chantal Jouanno.

Reste à organiser et à canaliser le grand débat qui sera lancé, concordance des temps de mer agitée, sur fond de chaos Outre-Manche. Pour cela, il n’est plus temps de finasser ou d’édulcorer, le mieux est de faire confiance – enfin – au terrain, aux maires, à la société civile dans chaque région et de laisser débattre de questions de fond : quelle est la rémunération juste du travail ? Le niveau pertinent des droits de succession ? Des prélèvements sociaux ? De la répartition du capital entre générations ? Du niveau de services publics « opposable »? Des moyens d’assurer, dans tous les territoires, l’accès aux soins, à l’éducation, à la culture et à l’emploi ? Retisser du lien social, de la confiance entre acteurs, classes sociales, générations. Bref, faire la nique, de la manière la plus éloquente, au brouet populiste qui, sinon, l’emporterait partout, de l’Andalousie à la Saxe, des franges rouges-brunes sinistres à la tentation collaborationniste « marianiste » d’une droite de gouvernement tragiquement orpheline de ses valeurs, je veux dire des nôtres : liberté des débats, fraternité des échanges, égalité des chances. Très loin du dévoiement de la solidarité des honteuses cagnottes pour subventionner la violence.

P.A

Commentaires

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  1. Accepter le Référendum d’Initiative Populaire serait “s’exposer demain à des mises en cause de droits fondamentaux (…) Est-ce vraiment à cela qu’aspirent les Français de 2019 ?”.

    Eh eh, où est l’erreur : les français ne seraient pas assez grands pour “bien voter” lors d’un RIC, mais ils le seraient assez pour élire des parlementaires ?

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