Sempé : tendresse, poésie et humour

Ne parlons pas de l’âge de Jean-Jacques Sempé dit « Sempé ». Il est devenu intemporel. Le papa du Petit Nicolas c’est lui et aussi celui de Raoul Taburin. Deux petits personnages sortis de leurs livres pour apparaître au cinéma, deux êtres singuliers dans lesquels chacun de nous retrouve un peu de soi et beaucoup de leur géniteur, drôles, fragiles et mélancoliques comme lui, un rien roublards comme lui encore…

Benoît Poelvoorde, Edouard Baer, dans le film “Raoul Taburin a un secret” à partir du récit paru chez Denoël en 1995

Sempé est l’un des dessinateurs les plus connus de l’hexagone, un dessinateur humoriste. Il tient beaucoup au mot humoriste qui s’attache aux situations, relève ce qu’elles ont de comique et ne tourne jamais les gens en ridicule. Son enfance à Pessac à côté de Bordeaux  où il est    en 1932 est loin d’avoir été gaie. « Elle était mêmelugubre et un peu tragique » dit-il sans vouloir aller plus loin. Cette enfance fut de celle que l’on ne souhaite à personne, celle d’un enfant naturel dans un foyer désargenté où le « père adoptif », représentant de commerce à vélo, va fêter ses ventes « au bistrot du coin », où des scènes terribles se déclenchent entre les époux. « Ils cassent tout encore une fois, les assiettes et les verres… »

A l’adolescence il ne songe qu’à fuir. « Je cherchais du boulot sans relâche. En pure perte. Je mentais tout le temps. Cherchait-on un ou une secrétaire. Je prétendais avoir un diplôme de dactylo. De guerre lasse j’ai fini par me tourner vers l’armée. Mon régiment d’infanterie au fort de Vincennes formait des infirmiers. Nous dispensions les soins et les piqûres au Val-de-Grâce ».

Et Goscinny entre en scène

L’armée abandonnée il frappe aux portes  des journaux parisiens de l’époque, France Dimanche, Ici Paris, Le Rire et Radar un hebdomadaire. Débuts difficiles. En 1952, Sempé crée pour le journal  belges de programmes de radio « Le Moustique » les dessins d’un jeune garçon qu’il appelle Nicolas en référence à une publicité de vin aperçue sur un autobus. Le directeur du journal l’engage à en faire une BD. René Goscinny qu’il a rencontré au Moustique lui propose d’en faire les textes. « René était un spécialiste de la bande dessinée, moi pas du tout. C’est ainsi que nous avons commencé a faire de la bande dessinée à raison de 28 gags par page. Heureusement Goscinny s’est vite fâché avec la direction du Moustique, ce qui a tout arrêté. Il était temps. Moi, je devenais fou ! J’avais horreur de dessiner dans des carrés très limités. C’est alors que j’ai suggéré à Goscinny de concevoir des livres dont il ferait les textes et moi les dessins. Comme nous étions encore jeunots nous racontions nos souvenirs d’enfance, plutôt la mienne. René n’avait jamais joué au football et n’était jamais parti en colonie de vacances ». Les éditions Denoël publie leur premier album en 1962. Il y a plus d’un demi-siècle et le petit Nicolas n’a toujours pas pris une ride. L’œuvre de Sempé non plus qui en 1978 a commencé sa collaboration avec le New Yorker. « J’étais fou de joie et terrorisé. Je me suis retrouvé avec mes idoles, Saul Steinberg,  Charles Addams, James Thurber ». Depuis  au Nex Yorker j’ai donné 500 couvertures », reconnait-il sans orgueil.

Travailleur et anxieux

Sur Sempé il y a beaucoup à dire, trop tant l’homme fourmille d’idées et de rencontres. Disert sur Jacques Tati avec qui il aimait échanger, fidèle à Jean-Sébastien Bach dont il a retenu « quiconque travaillera autant que moi, fera aussi bien ». Résultat Sempé a beaucoup travaillé remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier jusqu’à être satisfait, perfectionniste jusqu’à épuiser le papier. Anxieux toujours, ne pouvant s’empêcher de l’être, il a raconté les citadins  pressés qu’il venait de croiser, des  couples se croyant amoureux dont les regards divergeaient, des bobos blasés aux idées approximatives et surtout des gamins comme le petit Nicolas, des êtres de tous les jours comme Raoul Tabourin que Philippe Godeau et Guillaume Laurant viennent de porter sur les écrans.

Adaptation réussie de l’album « Raoul Tabourin »

Sempé qui n’a jamais caché apprécier avec beaucoup de modération les deux films consacrés au  Petit Nicolas (2009) et « Les vacances du Petit Nicolas » (2014) est très fier et ému du « Secret de Raoul Taburin » réalisé à partir du récit paru chez Denoël en 1995 et en salle depuis une semaine. Comment lui donner tort ?. Le charme opère dès les premières images. Ce beau conte fut inspiré à Sempé par son amour du vélo. « J’étais quelqu’un qui se déplaçait, quel que fut le temps, toujours à bicyclette. Il pouvait tomber des cordes, j’arrivais parfois à des endroits, trempé des pieds à la tête. Et puis, j’ai eu un accident cérébral, la médecine m’a interdit de remonter à vélo » déclare à regret le dessinateur.

Le film s’ouvre sur une voix off qui annonce une histoire dont tous les éléments se mettent en place sans heurt comme par enchantement. Elle se déroule quelque part dans le sud de la France à une époque oubliée où seuls les vélos avaient droit de cité. C’est Raoul Taburin (Benoît Poelvoorde), l’irremplaçable réparateur et marchand de vélos de Saint-Chéron  qui parle. Il comprend et répare si bien les cycles que l’on ne désigne plus ceux-ci  que comme « des  taburins ». N’empêche, on le comprend très vite, ce génie des deux roues cache un secret qu’il dissimule depuis l’enfance : il n’arrive pas à tenir en équilibre sur un vélo. Très vite, dès l’école élémentaire  il a caché, disons, dissimulé cette « tare ».

Raoul vit dans l’imposture, multiplie les ruses, traverse le village les genoux en sang, son vélo à la main. Le subterfuge fonctionne jusqu’à ce qu’arrive au bourg un photographe, Hervé Figougne (Edouard Baer). Il veut immortaliser en situation les habitants du village. Pour Raoul l’idéal serait un cliché de lui en train de dévaler à vélo une pente. Mais, laissons là  l’histoire pour permettre aux amoureux du cinéma d’en découvrir la fin, la douceur, la tendresse et la poésie.  Dans un cadre aux contours naïfs les enfants et les adultes  n’ont pas d’âge. Ils sont drôles, fragiles, compliqués avec simplicité, perplexes, pleins de mélancolie comme le sont tous les personnages de Sempé, un Sempé dont Benoît Poelvoorde dit « Il m’a accompagné toute ma vie. Il fait bon vivre dans les dessins de Sempé ».

Françoise Cariès

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