“La loi du marché”, le degré zéro du cinéma

vincent lindon 2

A contre courant de la critique, unanime ou presque, j’avoue ne pas avoir aimé ce film, qui encore une fois se drape dans un soi-disant réalisme social pour nous servir une collection de clichés quelque peu éculés sur notre société et sa crise. Et que dire de la prestation de Vincent Lindon réduit à un rôle d’ectoplasme chômeur, sans joie ni haine, contraint à devenir vigile délateur dans un supermarché, dont le seul acte du film est la démission finale…

Mais revenons (une nouvelle fois) sur le socialement juste qui ferait la force d’un film dont on dit, ultime louange incontestable, “c’est du documentaire“… Étonnante confusion des genres qui permet au réalisateur, Stéphane Brizé, de justifier une posture de voyeur social, sans point de vue sur la réalité filmée, parce que, comme je l’ai déjà écrit, “ le réel n’a pas de sens !“. Et puis il y a cette façon de filmer, caméra “à l’épaule” pour faire plus vrai, avec des plans séquences interminables (la vieille idée de l’absence de montage pour faire “vrai”, là encore !) des dialogues dont les protagonistes sont systématiquement cadrés de profil pour distendre et dénier toute tension dramatique au film.

Parce que là est le vrai sujet: le film se résume à une seule tension dramatique, l’humiliation comme forme constante des rapports humains, du patron à la banquière en passant par l’éducateur du fils handicapé, les rapports sociaux sont pensés et mis en scène comme un système hiérarchique qui ne peut que produire une inéluctable déchéance dans l’humiliation, qu’on la subisse ou qu’on la fasse subir à autrui. Il n’y a pas d’autre alternative, et l’issue n’est que dans le suicide ou dans la fuite, en aucun cas dans la révolte et, a fortiori, dans le combat !

Comme l’écrivait le critique littéraire Georg Luckacs à propos de Balzac: “Les personnages des grands réalistes mènent une vie indépendante de leur créateur”, exprimant ainsi la prééminence du fictionnel dans toute œuvre, littéraire ou filmée, qui se revendique comme réaliste: il n’y a ainsi pas de réalisme sans narration, sans point de vue sur le réel.

“La loi du marché” n’est que l’ennuyeuse et déprimante illustration de ce principe narratif.

Gérard Poitou

“La Loi du Marché” un film de Stéphane Brizé

avec Vincent Lindon (Prix d’interprétation masculine Cannes 2015)

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=jMxpbsCQHKw[/youtube]

Commentaires

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  1. Un film fait pour le festival de Cannes, n’est-ce pas là aussi “La loi du marché” ?

  2. Même “déception” que l’auteur de cet article au sortir de la salle…
    C’est, au mieux, un bon documentaire pour une chaîne de TV.
    Il y a dans le “succès” rencontré beaucoup de conformisme à la “pensée unique” ou de “bonne conscience” par rapport à un sujet d’actualité qui méritait mieux !
    J’ai préféré le traitement du film “Jamais de la vie” avec Olivier Gourmet, même si le “fil conducteur” repose sur un fait divers (un cambriolage dans une galerie marchande de grande surface) forcément moins médiatique …et moraliste !

  3. encore un produit visant à créer un effet miroir , “votre fiction est la notre, mais ce que vous ignorez c’est que nous vous l’avons inventée, voir les pubs), heureusement il y a des humains pour dénoncer celà , merci GP

  4. Nous n’avons pas vu ce film, mais je trouve très courageux à Gérard de sortir des sentiers battus de la critique. L’humiliation doit provoquer la révolte et non une description factuelle. Merci Gérard , on pourra dépenser nos sous pour un autre film!

  5. Pas du tout d’accord avec Gérard Poitou. Ce film est remarquable car il évoque la vraie vie telle qu’elle existe dans certaines entreprises de la distribution. Parlez avec des caissières et vous verrez ce qu’est leur vie au boulot. Pour une fois que cette question est mise sur la place publique.
    Bravo à Vincent Lindon pour son interprétation splendide. Mais il est vrai queue, dans notre société actuelle, certains sont disposés à tout accepter. Même le pire !

    Michel RICOUD

  6. Comme Gerard Poitou l’a déjà posé en vérité première, “le réel n’a pas de sens”. Amen, la messe est dite, il n’y a pas de pardon possible, circulez, il n’y a rien d’intéressant à voir dans ce film – pardon, reportage sans intérêt.
    Pour qui se prennent ces critiques autoproclamés ? On peut dire qu’on a aime ou pas mais éreinter de la sorte un film, pas d’accord !

  7. Faut-il coûte que coûte flinguer un film, quelle qu’en soit l’argumentation, (on parle de quel réel? Lacanien, philosophique… )
    De ce film j’ai retenu l’histoire d’un homme à la recherche d’un travail, humilié, fatigué, tétanisé par la machine sociale et j’en ai oublié la sémantique devant ces drames humains.

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