Haro sur le fichier. Pendant les fêtes de Toussaint, la révélation a fait grand bruit. Nous avons appris qu’une base de données unique va ficher tous les Français, avec la photo numérisée du visage, les empreintes digitales, les adresses physiques et numériques. Le fameux TES (Titres Electroniques Sécurisés, un fichier destiné au ministère de l’Intérieur et intitulé « Titres électroniques sécurisés ». Comment ça « l’Etat nous ficherait » se sont exclamées le chœur des vierges effarouchées, prêtes à descendre dans la rue pour défendre leurs libertés individuelles menacées par « l’Etat policier ».
On croit rêver. Chaque jour, chaque minute, chaque seconde, nous sommes suivis et surveillés comme le lait sur le feu par les majors d’internet, Google, Facebook, Youtube, Twitter… Par le biais de notre téléphone portable, de notre carte de crédit, de notre voiture, de notre ordinateur, ces marchands de soupe revendent nos données personnelles. Ils savent dans quel pays nous avons envie de voyager, si nous préférons des shoorties ou des caleçons, si nous avons reluqué un canapé sur le site d’Ikea et bien d’autres données plus confidentielles sur nos goûts et nos couleurs. Sur ces intrusions, sur ce flicage personne ne bronche. Pas un bel esprit pour dénoncer les vrais Big brothers, ceux qui savent tout de nous et qui nous espionnent à longueur d’algorithmes.
Ce fatalisme sur les espions venus du net dit bien à quel point nous sommes tombés dans la soumission à l’économie de marché dans ce qu’elle a de plus sophistiquée et de plus pervers. Des exemples récents : saisissez vos identifiants Google et une carte affichera vos itinéraires et vos déplacements, à la minute près, en fonction de la date choisie. Tout simplement parce que, chaque fois que vous consultez un de ses services, le géant américain en profite pour enregistrer votre position. L’iPhone enregistre tous les déplacements de son propriétaire dans un fichier stocké sur le téléphone lui-même et qui est destiné aux services d’Apple.
On croit rêver lorsque notre secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, s’est à son tour émue de la création de ce fichier national chargé de « simplifier les formalités d’obtention et de renouvellement des titres d’identité, ainsi qu’à éviter la fraude documentaire ». Et accessoirement à lutter contre le terrorisme.
L’évangile conseillait ceci: au lieu de critiquer la paille qui est dans l’œil de ton voisin regarde d’abord la poutre qui est dans le tien. Plutôt que d’empêcher Cazeneuve de faire son boulot, manifestons contre les milliardaires américains. D’ailleurs au passage, à propos de milliardaire, Trump a expliqué durant sa campagne qu’il n’avait rien à faire des médias classiques et qu’il faisait passer ses messages politique à sa « communauté » via Facebook.
Angela Merkel serait-elle la seule à oser se colleter avec les géants du numérique ? La chancelière leur a demandé récemment de révéler leurs algorithmes. « Les algorithmes doivent être rendus publics » a-t-elle dit, « afin que chacun puisse s’informer en tant que citoyen intéressé par les questions telles que : qu’est ce qui influence mon comportement, et celui des autres sur internet ». « Ces algorithmes quand ils ne sont pas transparents peuvent conduire à une distorsion de notre perception, ils rétrécissent l’étendue de l’information à laquelle nous avons accès ».
Grâce à leurs algorithmes, Google et Facebook pour ne citer qu’eux finissent par créer des « communautés de consommateurs », en particulier des jeunes, qui ne s’informent que par ce prisme déformant. Des jeunes générations qui se vantent de ne jamais lire un journal, voire de ne jamais regarder un bulletin d’information télévisée. Pour prendre un exemple absurde, c’est comme si dans un débat télévisé de la primaire de la droite, un algorithme vous imposait de ne voir et de n’entendre que Nicolas Sarkozy, ou qu’ Alain Juppé, parce que vos goûts et vos couleurs vous prédestinent à choisir ce « produit ».
Tout l’inverse des vrais médias faits par des journalistes qui confrontent les opinions, les candidats, proposent au citoyen responsable de faire son choix. Il existe certes une presse d’opinion, mais elle a le mérite d’annoncer la couleur, de ne pas de se planquer derrière un algorithme. D’ailleurs Angela Merkel décidément pertinente, explique comment même les médias dépendent aujourd’hui des majors d’internet qui, on le sait, ne rêvent que de fabriquer eux-mêmes leur propre information. « Avec leurs algorithmes, les grandes plateformes informatiques sont devenus le trou de souris au travers duquel les autres médias sont obligés de passer pour obtenir de nouveaux utilisateurs » dit-elle.
Et pendant ce temps-là nos beaux esprits « de gauche » vont continuer à pousser des cris d’orfraie sur le fichier de Bernard Cazeneuve, et à se répandre sur les dits « réseaux sociaux », symbole de la liberté d’expression. Ben voyons.
Ch.Bidault