Sept sur sept

À la fin du dernier millénaire, au temps des septennats renouvelables, l’émission politique phare mettait en scène Anne Sinclair – héritière cathodique de Michèle Morgan sur le plan du « Tu as de beaux yeux, tu sais » – face au gratin des acteurs politiques français, pour Pierre Allorant« regarder la France au fond des yeux » selon la formule giscardienne.

Pierre Allorant

Deux quinquennats plus tard, tout semble bouleversé, en premier lieu la perception de la durée, l’exigence d’immédiateté et la fin des « carrières longues » politiques, espèces qui bénéficient, ces derniers temps, contre leur gré, de mises à la retraite anticipée, probablement justifiées par la pénibilité de la tâche.

Jeu des sept familles

Comme la droite – sans le centre – en novembre dernier, la gauche – sans Macron, ni Melenchon, ni Jadot – va donc jouer la partie dangereuse du « clan des sept », ce jeu de société des sept familles où, rassemblés par un grand événement, à l’occasion des fêtes, on se dispute rituellement autour de la table sur les préférences supposées des parents, les périodes d’occupation de la maison de famille, la répartition de l’héritage ou l’éducation des enfants.

La nouveauté de la fin 2016 est que le père de la nation vient de renoncer à la vie de famille, sans même transmettre ses dernières volontés quant au mieux placé pour assurer sa succession.

La grande désunion impopulaire

Souvent, les mots disent l’inverse des choses, particulièrement en politique où, par exemple, l’abus de l’emploi du terme « honnêtement » se rencontre davantage chez certains élus de Levallois que dans la bouche de ces centaines de milliers de conseillers municipaux réellement dévoués à la chose publique.

En cette veille de trêve des confiseurs, qui précédera de peu les primaires de la gauche, l’expression toute faite de « la Belle alliance populaire » interpelle. En effet, quel est le grave problème de la gauche française d’aujourd’hui, qui explique la résignation à la défaite, si répandue à six mois du scrutin ?

L’impopularité d’un quinquennat manqué, n’en déplaise au légitimiste Vincent Peillon, dont l’enthousiaste profession de foi hollandaise interroge sur les raisons de son départ du gouvernement en 2014, en pleine réforme des rythmes scolaires, et sur sa reconversion en auteur de polars en guise de traversée du bac à sable ; et sa profonde désunion, non seulement entre la gauche réformiste de gouvernement et la protestataire, mais au sein de ces deux blocs « irréconciliables » selon les termes mêmes de Manuel Valls, avant sa vocation tardive de « grand rassembleur » ; enfin, « grande », la gauche ne l’est plus depuis des lustres, au moins depuis la « gauche plurielle » de Jospin, expérience qui s’était fracassée le 21 avril 2002 contre le mur du premier tour des présidentielles.

Les mousquetaires socialistes et les trois pièces rapportées

La compétition interne à la « Belle Alliance » se présente comme la juxtaposition, peu lisible et faiblement mobilisatrice, d’une revanche des congrès du PS de la dernière décennie et d’un lot de consolation offert aux micros partis satellites du PS, à ces « harka » qui ne vivotent dans son ombre qu’en se partageant les miettes législatives et sénatoriales que celui-ci daigne leur consentir. 

Bref, arbitrer entre le quarteron de quinquas ambitieux issus du NPS, triplement orphelins de Jospin, de Royal et de Hollande, et trois supplétifs, l’enjeu risque fort de ne pas passionner les foules, et il sera difficile de mobiliser, non pas 4, mais même 2 millions d’électeurs comme en 2011, où la perspective était de désigner le challenger de « l’hyperprésident » Sarkozy.

Cette fois, le clan des sept apparaît encalminé entre deux postulants directs à la présidentielle, à la ligne clairement identifiée : la gauche protestataire de Mélenchon, le libéralisme intégral (au plan des mœurs comme de l’économie) d’Emmanuel Macron, sur lequel le bilan du quinquennat semble glisser. Prise en étau, la primaire de la « Belle Alliance » risque de se transformer en « Belle aux urnes dormantes », voire en Sept mariages et un enterrement : celui du PS.

Quarteron de ministres quinquas en rupture de ban : favoris et outsiders

Si les électeurs en restent à leur humeur massacrante, au chamboule-tout permanent, la tentation sera forte d’écarter, peut-être dès le premier tour, les favoris Valls et Montebourg, pour donner leur chance à leurs outsiders respectifs, Peillon et Hamon. Comme Fillon offrait aux électeurs bien à droite un produit de substitution idéal au sulfureux Sarkozy, trop peu présentable, Peillon présente une version pateline et sagement réfléchie du Hollandisme que peine à incarner l’autoritaire premier ministre sortant, bref, une version remixée, du jospinisme. Quant à Hamon, il peut s’appuyer sur l’estime des milieux associatifs et de l’économie sociale et solidaire, et le respect des écologistes, tout en jouant une musique franchement de gauche, mais différente du gaullo-chevènementisme productiviste, de la relance keynésienne de l’éloquent du barreau d’entre Saône et Loire.

Or, mauvaise nouvelle supplémentaire pour Manuel Valls, déjà entravé dans son lancement de campagne par la « Macron mania » des médias : le retrait volontaire de Marie-Noëlle Lienemann, et celui forcé de Gérard Filoche, dégagent le terrain aux duettistes de la gauche frondeuse du PS, au moment précis où le couloir du centre et du légitimisme qu’entendait occuper le premier ministre lui est contesté par son ancien collègue de l’Éducation nationale, qui revendique encore plus haut et encore plus fort le bilan du quinquennat, non sans contradiction avec le soutien marqué d’une critique de Hollande telle que Anne Hidalgo.

Alors, quelle issue à ce combat fratricide ? Si, comme aujourd’hui, se confirme une lutte serrée de personnalités, sans victoire nette de l’une des lignes économiques proposées, les seuls vainqueurs, à des titres divers, sont déjà connus : Mélenchon, Macron et même Le Pen, candidate à la captation de classes moyennes déclassées et populaires désespérées.

L’adieu au Conseil National de la Résistance

Dans cette hypothèse, la responsabilité qui pèserait sur Francois Fillon serait très lourde : quitter ses oripeaux de champion de la « Manif pour tous » et du thatcherisme pour endosser la tunique du défenseur du modèle social français. Une telle inversion de posture et de discours en quelques mois serait peu crédible.

Resterait la souffrance et le danger de voir, après la laïcité et même les droits des femmes, un parti né sur les décombres de Vichy et de l’Algérie française, feindre de défendre la Sécurité sociale, les services publics et les fonctionnaires.

Honneur et patrie

Il serait vraiment temps que le vainqueur des primaires de la droite se remémore d’où il vient et ce que Philippe Séguin incarnait : une certaine idée du Parlement, de la protection sociale et de l’Etat, de l’indépendance et de l’honneur d’une nation démocratique. Car être fidèle au gaullisme aujourd’hui, ce n’est pas applaudir aux crimes de guerre de Poutine, c’est s’insurger contre les coups de force de la barbarie, d’Alep à Berlin. « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes à l’Ouest » avait affirmé François Mitterrand lors de la crise des euromissiles.

Aujourd’hui, la barbarie nous vient, sans doute, de l’Est, mais la lâcheté et le déshonneur campent bel et bien à l’Ouest.

Commentaires

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  1. il serait temps que les “néogaullistes” qui ne cessent de rendre hommage au programme du CNR s’intéressent au programme de redressement économique de 1958 mené par le Général (et Antoine Pinay) pour apurer les déséquilibres de la IVème république ; c’est beaucoup plus instructif pour 2017 !

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