Vingt ans après la mort de Jean-Edern Hallier, Jean-Claude Lamy lui consacre une biographie. Les jeunes ne savent pas qui il est mais il fut une époque où on parlait beaucoup de lui. Il faut dire qu’il ne reculait devant rien pour figurer dans l’actualité et qu’on lui trouve du génie. Don Quichotte en littérature, bouffon de la République, le 12 janvier 1997, au petit matin, Jean-Edern Hallier tombe de son vélo noir dans une rue de Deauville où il séjournait à l’hôtel Normandy, victime d’un arrêt cardiaque. Il disparaît un an après François Mitterrand qui l’avait admiré avant de le haïr. Pamphlétaire à la plume acérée, écrivain habitué des coups d’éclat médiatiques, il avait fait campagne pour le leader de la gauche en 1981 et avait espéré en vain être récompensé par un poste ministériel, la présidence d’une chaîne de télévision ou une ambassade.
Déçu, mortifié, Jean-Edern s’est vengé à sa manière. Il concocta un brûlot qui contenait un portrait « en pied et en cape » du président accompagné du « rictus de la famille unie » affirmant haut et fort que « toute information est bonne à publier ». La transparence avant l’heure tuée dans l’œuf. Grâce au système des écoutes, François Mitterrand parvint à éteindre l’incendie. L’Honneur perdu de François Mitterrand qui révèle l’existence de Mazarine, le passé pétiniste et le cancer ne sera pas publié en 1984 mais seulement en 1996. En 1991, Hallier s’en est également pris à Bernard Tapie puis en 1993 en publiant dans son journal L’idiot international le casier judiciaire de l’ambitieux.
À l’exception peut-être du Premier qui dort réveille l’autre et de l’Évangile du fou, ses livres – qu’il bâclait – n’ont pas survécu au breton borgne dès sa naissance en raison d’un accouchement aux forceps. Son œuvre la mieux vendue fut sa vie. À la remplir il a déployé le plus d’imagination, de dérision, de perversion et à l’occasion d’abjection.
L’Idiot insaisissable
Dans la biographie très personnelle, bien informée, fruit d’une enquête poussée, d’expériences vécues dans l’univers de la presse et de l’édition parisiennes et débordante d’empathie qu’il consacre à L’Idiot insaisissable, Jean-Claude Lamy excuse les multiples dérapages de celui qui fut, selon lui, le « dernier grand polémiste du XXe siècle » . Il ne s’attarde pas assez sur l’argent rassemblé par Régis Debray qu’Hallier emporta au Chili en 1973 et qu’il oublia de donner à ses destinataires, sur le plasticage de l’appartement du même Régis Debray, sur son enlèvement simulé en 1982.
Ce jugement et cette indulgence qui lui appartiennent et que l’on peut regretter sont loin d’être partagés, mais le portrait qu’a dressé l’auteur du fondateur de L’Idiot international mérite que ceux qui n’ont pas connu la période qui va de 1960 à 1997, ou à ceux qui l’ont oublié de la découvrir ou de la retrouver. Lamy qui n’est plus de la première jeunesse est un témoin minutieux et précieux. Il restitue les situations jusque dans les moindre détails.
« Au volant d’une Mercedes 300 SL, imatriculée 387 JP 75, prêtée par un admirateur, Yves Merlin, Jean-René Huguenin se rend à Chailles, près de Blois, dans la propriété familiale. A bord , Marianne, sa fiancée enceinte, sa sœur Jacqueline et ses deux neveux, Olivier et Sylvain , âgés de six et quatre ans », un exemple du style et de la minutie de Jean-Claude Lamy, un exemple pas choisi au hasard car Huguenin se tue « le samedi 22 septembre 1962, sur la nationale 10 ». C’est rappeler combien on mourait beaucoup, beaucoup plus que maintenant sur les routes, Camus et son éditeur Gallimard, Roger Nimier et le grave accident de Françoise Sagan pour ne citer qu’eux, lourd tribut des écrivains de cette époque à la route.
F.C.
Jean-Edern Hallier, l’Idiot inclassable, de Jean-Claude Lamy chez Albin Michel. 596 pages 26 €.