E. M. : et maintenant ?

Longtemps en France, la politique a été une carrière au long cours, un cursus débuté sous les préaux d’écoles et les cafés de chefs-lieux de cantons, poursuivi au Palais Bourbon et parachevé, à l’automne de la vie, au Palais du Luxembourg en cumulant fonctions exécutives locales et mandats nationaux. Notable exception, Georges Pompidou, ce littéraire et ancien banquier amoureux de son épouse, avait grillé les étapes en accédant directement à Matignon, puis, après une brève « traversée du Cantal », en succédant au général de Gaulle en 1969, lors de présidentielles marquées par un taux de participation de 77 %, l’effondrement socialiste et la présence, unique jusqu’à 2017, d’un centriste, Alain Poher, au 2e tour.

Par Pierre Allorant

Le 23 avril, les Français ont porté en tête du premier tour un néophyte, jamais candidat à la moindre élection, lanceur d’un nouveau mouvement politique il y a tout juste un an. En plus des talents indéniables d’Emmanuel Macron, ce surgissement, encore impensable au lendemain des primaires de la droite, n’a été rendu possible que par le double effondrement des deux coalitions de gouvernement qui avaient dominé depuis 1962, ce « double 21 avril » incongru, et par le profond désir de renouvellement d’un électorat irrité contre les sortants, mais toujours pas prêt à confier les clés d’une seule région, et encore moins de la maison France, à un Front national même dédiabolisé.

Le « pacte à 4 » sans bipolarisation

Conséquence de cette zone de fortes turbulences : pour la première fois depuis 1981, quatre candidats se sont situés aux alentours d’un cinquième des suffrages exprimés, rappelant le quadripartisme des années Giscard, la France « coupée en deux, mais pliée en quatre » moquée par Coluche, du PCF au RPR en passant par le PS et l’UDF. Toutefois, la situation actuelle présente un grand changement et une permanence : il n’y a plus d’accord de désistement de second tour deux à deux, ni union de la gauche, ni majorité présidentielle automatique ; en revanche, le clivage européen alors sous-jacent, est devenu le plus prégnant et explicite. De ce fait, on comprend mieux la difficulté pour les « Insoumis » de participer à un front républicain lézardé, et le dilemme des élus des Républicains, pris en tenailles entre leurs engagements libéraux et les pulsions viscéralement hostiles à l’héritier rebelle du hollandisme, revanchistes et conservatrices du cœur de leur électorat.

Bal tragique à Solférino : le châtiment d’un quinquennat rejeté

Si la pulsion « dégagiste » d’un électorat ulcéré par quarante ans d’impuissance des politiques publiques a fait deux victimes, la droite et la gauche de gouvernement, leur situation apparaît en réalité très différente. Là où la droite a mordu la poussière faute d’avoir su balayer devant sa porte et se libérer d’un candidat-boulet discrédité, placé dans l’impossibilité de plaider pour une purge sociale n’épargnant que sa famille, la gauche a été réduite à quantité négligeable, revenue à la case-départ, celle d’avant le congrès fondateur d’Épinay, sans pouvoir compter demain sur le génie manœuvrier d’un Mitterrand et encore moins sur la perspective d’un programme commun de gouvernement. La faillite morale et la défaite incongrue de la droite « la plus bête du monde » est certes plus grotesque, mais moins insurmontable, que l’effondrement électoral et la profonde division idéologique d’un PS où l’on voit mal coexister demain Valls et Hamon. Seule lueur d’espérance de ce côté : une piste de rénovation de la boîte à idées est déjà…en marche avec la prise en considération de l’impératif environnemental et d’un nouveau rapport au travail, axes qui ont l’autre mérite d’être un facteur de rassemblement des progressistes. 

Rejet du quinquennat, échec d’une campagne menée à l’envers (d’abord les interminables et stériles discussions avec les alliés potentiels, ensuite la trop timide et peu lisible tentative de se démarquer des deux concurrents clairement positionnés), le frondeur abandonné a payé le prix fort d’un double vote utile qui s’est retourné contre le PS : ni le vote stratégique, ni le vote plaisir allégé du principe de réalité ne conduisaient à choisir le bulletin Hamon.

La droite vieillie, usée, fatiguée

Face au champ de ruines de son « ennemie de soixante ans », la droite aurait bien tort de se réjouir. Elle avait déjà manqué, il y a un an, un grand chelem annoncé des régions, victime de la poussée du FN en zone rurale. Bien plus grave, elle vient de rater non seulement une victoire plus qu’à sa portée, inscrite dans l’ampleur du rejet de François Hollande, mais même, pour la première fois, la présence au second tour de l’élection majeure, alors qu’elle avait toujours placé un ou deux candidats au tour décisif. Après des primaires réussies mais trompeuses, dangereux miroir déformant d’une France dépourvue de sens commun, elle a trop vite entériné sa victoire, se répartissant les postes (Matignon à Baroin, le parti à Wauquiez) en oubliant de rassembler les perdants, juppéistes et sarkozystes. Et le ridicule, cette fois, a tué : comment défendre, dans la suite de la campagne, un candidat accusé de tous les maux par l’UDI et mis en examen critique par les propres leaders LR, les présidents des deux assemblées et son propre directeur de campagne ?! Pire pour son avenir, son bastion électoral est désormais constitué d’inactifs âgés de plus de 70 ans, dans un profil qui rappelle le dépérissement du parti conservateur britannique au temps de Tony Blair, l’Emmanuel Macron britannique du tournant du siècle. L’une des clés de l’avenir de la droite dépend dans l’immédiat de l’attitude de sa frange centriste, tentée par une « grande coalition » européenne, réformatrice et libérale à l’allemande.

La « France défigurée »
Conflit des générations, lutte des classes et fracture territoriale

Quand l’opinion publique a découvert au début des années 70 les « dégâts du progrès », la sensibilité patrimoniale et écologiste s’est traduite par la dénonciation télévisuelle de « la France défigurée ». Le paysage électoral du printemps 2017 dévoile les butes-témoins de quarante années de crise, de chômage de masse, de remise en cause brutale du modèle productiviste agricole, et de retrait des services publics. Loin de niveler les clivages, le vieillissement de la Cinquième République, sur fond d’impuissance politique et de montée des populismes, dévoile de profondes fractures, avivées par les récentes réformes territoriales. Les jeunes actifs diplômés du supérieur, cadres et professions libérales, citadins des métropoles, ouverts à l’Europe et optimistes sur l’avenir, ont plébiscité l’ancien rédacteur du rapport Attali. Les jeunes de la « France périphérique », ballotés de petits boulots en emplois précaires ont voté Le Pen ou Mélenchon. La peur de la mondialisation, des vagues migratoires et du « totalitarisme islamique » se sont répartis entre Fillon et Le Pen. La grande difficulté pour le prochain président, son gouvernement et la prochaine Assemblée sera de surmonter ces fractures pour fabriquer, non du consensus mou, mais des projets novateurs et porteurs d’intérêt général.

Les 39 marches du Petit-Prince-Président Macron

À 39 ans, plus jeune que le premier chef d’État élu au suffrage universel direct en 1848, le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, Emmanuel Macron peut réaliser le 7 mai le rêve nourri il y a un demi-siècle par Jean Lecanuet, prolongé par Alain Poher et porté depuis 2002 par François Bayrou. Encore plus difficile que son pari réussi de s’imposer comme successeur du « président normal », le Trudeau français va devoir franchir l’obstacle de législatives à hauts risques, au risque de brouiller son message à coups d’alliances et de désistements à géométrie variable. Pour éviter le reproche de pur opportunisme, il devra donner du sens à un « contrat de législature » pensé par la République moderne de Pierre Mendès France, voire aux « majorités d’idées » chères à Edgar Faure.   

Mais n’ayant pas – encore ? – connu de traversée du désert, le « Petit-Prince-Président n’a pas eu l’opportunité de rencontrer un Saint-Exupéry et de lui demander : « dessine-moi une majorité ».

Commentaires

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  1. Ce que j’ai appris dimanche soir c’est que les instituts de sondages avaient vu juste. Chapeau !
    Ce que je lis aujourd’hui, de Pierre Allorant m’intéresse au plus haut point, avec les limites, bien sûr, de son filtre idéologique et de ses références historiques qui modélisent, à leur façon, la réalité politique complexe d’après le premier tour.
    Ce que j’ai appris hier, en regardant la performance du « Petit-Prince-Président Macron » à Amiens et Arras, c’est qu’au delà de la tête et du cœur que je lui reconnaissais déjà, il a montré qu’il en avait aussi. « entre les jambes ». Marine Le Pen l’héritière, a voulu l’avoir à l’estomac, et elle a pris un beau et bon coup de pied au cul.
    Ce qu’il a fait, je ne vois aucun homme politique de gauche le faire.À plus forte raison de droite.
    Ce matin, j’ai vu et entendu Cambadélis le leader du PS , sur France-info. Après ce que j’ai vu hier, il m’est apparu d’une médiocrité triste et profonde comme un apparatchik donneur de leçons, sur le déclin.

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