Durant tout l’été, Magcentre vous propose de lire ou relire les articles qui ont marqué l’année, ceux que vous avez préférés, que vous avez le plus commentés ou partagés.
Date initiale de publication: 30 mars 2017
> Dans le cadre des Journées des Arts et de la Culture dans l’Enseignement Supérieur, Le Bouillon accueillait mardi 25 mars 2017 à Orléans l’astrophysicien Hubert Reeves et l’Ensemble Calliopée autour de ‘Mozart et les Étoiles’. Un spectacle à ‘double voix’ qui conjugue astronomie et musique sur des grands chefs-d’œuvres du répertoire, nous conduisant à réfléchir sur l’évolution de l’univers.
Une musicienne et un astrophysicien sur scène, c’est un duo assez inattendu : comment vous êtes-vous rencontrés et comment avez-vous construit ce spectacle ?
Karine Lethiec. Musique et science est un duo très ancien. Depuis l’Antiquité, la musique et la science se sont toujours retrouvées. Mais nous, avec Hubert, nous ne nous sommes pas retrouvés dans l’Antiquité, même si c‘était il y a longtemps !
On s’est rencontrés il y a une trentaine d’années dans le cadre de recherches scientifiques du CNRS en Corse. Les scientifiques aiment bien les endroits beaux. C’était sur une très belle plage où l’on peut voir les étoiles le soir que nous nous sommes rencontrés, où ils avaient eu justement cette idée d’associer les mucisiens qui répétaient et des scientifiques qui se posent des questions. Ce spectacle de « Mozart et les Étoiles » c’est ça : est-ce que finalement on se pose les mêmes questions quand on est un scientifique et quand on est un musicien ?
La question fondamentale est « qu’est-ce qui pousse le créateur à remplir le vide ? » : la musique sort de la tête de quelqu’un comme la peinture et toute forme d’art et de culture, il faut avoir le besoin, l’envie, la motivation. Et donc est-ce qu’à la lumière des connaissances des scientifiques peut-on répondre à cette question ?
À partir de là, vous allez tenter de faire un lien entre la création du cosmos et la création artistique ?
Hubert Reeves. La créativité plutôt. Quels sont les éléments qui mobilisent à la fois cette créativité dans la nature, cette invention continuelle que la nature fait, qui part d’un univers complètement sans structure et qui bâtit au cours des milliards d’années des systèmes, des atomes, des molécules, des êtres vivants, de la vie, des espèces humaines, et quel est le paralèlle que l’on peut faire avec le mucisien qui, lui, décide qu’il va aussi grâce à sa propre créativité poursuivre cette œuvre et faire des œuvres musicales qui sont de plus en plus belles et qui enrichissent la vie de tout le monde.
Comment ce spectacle est mis en scène ?
Karine Lethiec. Il y a un trio à corde (violon, alto et violoncelle) qui va nous servir comme une sorte de matière, et Hubert Reeves. Ensemble, on va être en interaction à partir de cette première question posée et on va y répondre en musique, en écoutant cette matière : Hubert va nous parler de la matière qui s’organise et surprenamment on va se rendre compte que pour les compositeurs c’est la même chose. Tout au long de la soirée, il y a toujours le même violon, alto et violoncelle mais on va partir de Jean-Sébastien Bach, puis tout d’un coup Mozart, Beethoven, la musique française de Jean Cras… et puis tout d’un coup on se dit mais j’ai toujours les mêmes sept notes, les mêmes trois instruments : que se passe t-il ?
Je sens que j’évolue, que ça se développe. Et tout au long de l’histoire que raconte Hubert Reeves, on comprend que comme ces règles, ces lois et cette qualité d’invention de la nature, ces jeux comme nous dit Hubert, et bien la musique joue le même jeu.
Alors pourquoi ‘Mozart et les Étoiles’ et pas Beethoven… Mozart a dans sa musique quelque chose d’un peu cosmique ?
Karine Lethiec. Je crois que Mozart a quelque chose d’assez universel. Son prénom, Amadeus, qui est son deuxième prénom qu’il a choisi quand il était petit, ça veut dire ‘aimé des dieux’, c’est un clin d’œil bien sûr, mais je crois que c’est quelqu’un qui porte en lui l’universalité. On l’associe toujours à quelque chose d’un peu miraculeux puis que la musique sortait comme ça de sa tête. Moi, je crois que c’était plutôt lié à un énorme travail, une énorme connaissance et un gros travail de pédagogie lié surtout à son père qui était l’un des plus grands professeurs de l’époque. On va dire plutôt que c’est aussi pour la beauté de l’association entre ces deux idées de lumière : Mozart la lumière, et la lumière des étoiles.
Comment, vous, Hubert Reeves vous avez travaillé, vous vous êtes calé sur les pièces musicales ?
Hubert Reeves. Ça a été très progressif. Ce spectacle a commencé il y a une trentaine d’années si l’on peut dire. On l’a présenté et il a évolué : on se rendait compte de ce qui n’allait pas, de ce que l’on pouvait ajouter. C’est une œuvre commune qui s’est développée pendant ces décennies.
Parlons Présidentielles maintenant. En 2012, vous disiez que les candidats ne s’étaient pas montrés à la hauteur des enjeux que représentent la crise écologique, de la biodiversité. Aujourd’hui le sont-ils plus ?
Ça s’est plutôt détérioré. L’écologie était plus présente dans les campagnes politiques de 2012 qu’aujourd’hui. Il y a très peu de candidats qui en font même mention. C’est quelque chose qui a l’air au contraire d’être rentré dans… ‘vous en avez parlé, bon passons à autre chose’.
Vous avez le sentiment que l’écologie est la cinquième roue du carrosse ?
Oui, si on peut dire. Personne n’a vraiment été le promoteur qui a mis l’écologie au niveau le plus important, ou du moins parmi les plus importants. Quel est l’avenir de l’humanité ? L’humanité pourrait disparaître : ça ça nous surprend, parce qu’on se dit après tout l’être humain c’est le chef-d’œuvre de la création, le but de l’évolution, du moins c’est ce qu’on nous a racontés… Et puis tout d’un coup de s’apercevoir que peut-être dans quelques siècles, même moins, nous ne serions plus là…
Ça nous choque mais c’est la réalité. Les menaces sont assez graves, d’ailleurs nous l’avons vu pendant la guerre froide : nous sommes passés à plusieurs reprises à deux doigts de disparaître de la planète… Une guerre nucléaire nous aurait fait disparaître. La vie aurait continué après coup mais sans nous. Nous sommes fragiles, nous sommes précaires, nous sommes menacés.
Qu’est-ce qui ferait aujourd’hui qu’un candidat serait plus sensible qu’un autre ? Comme les faire bouger ?
On a essayé, on a rencontré Monsieur Macron… Il se préparerait des séances dans lesquelles nous pourrions à nouveau avec un groupe de personnes interroger les candidats sur ce point dont ils n’aiment pas parler. Mais pour l’instant ça reste encore trop flou. Et le fait que ce thème ne soit pas l’un des plus ou le plus important est déprimant.
Votre association ‘Humanité et Biodiversité’ a répondu présente à l’Appel des Solidarités : qu’en attendez-vous ?
Que l’on puisse rendre les gens conscients de cette question, que les gens puissent montrer qu’ils reconnaissent que c’est un point important. Un peu comme ce qui s’est passé après la COP21 dans laquelle 195 pays s’étaient mis d’accord sur un point. Cet appel à la Solidarité c’est justement qu’il y ait cette prise de conscience de la gravité de la situation.
Cette prise de conscience, cette sensibilisation, vous l’évoquez Karine dans le spectacle ?
Karine Lethiec. Tout à fait puisque quand on avance dans le temps on arrive aux créateurs d’aujourd’hui qui se posent des questions. La culture et la musique reflètent ces interrogations. La musique d’aujourd’hui est quelque part un peu plus compliquée, elle est dans l’esprit des hommes et Hubert Reeves conclut le spectacle avec cette conscience nécessaire de l’artiste et de chaque personne. Hubert a finalement cet art de faire réaliser que nous sommes tous importants. Chaque personne fabriquée selon le même schéma est unique et chaque personne a sa créativité même si on n’est pas Mozart, Beethoven ou Dutilleux.
Chacun d’entre nous a une force et le message d’Hubert Reeves, c’est de dire que chacun d’entre nous à sa manière a le choix : d’aller voter à cette élection, de se poser des questions, de se renseigner. Chacun a un impact sur notre planète, sur la vie commune que nous partageons.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup