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Date initiale de publication: 14 avril 2017
> Le Centre Charles Péguy à Orléans propose une exposition plutôt amusante sur la place des animaux dans la société française de la fin du XIXe siècle. Avec une iconographie qui mélange “une” de journaux, gravures diverses, cartes postales et affiches, cette exposition illustre l’évolution de la place du monde animal dans la bonne société de l’époque.
L’animal de compagnie envahit alors les intérieurs bourgeois avec une prédilection pour les animaux exotiques venus de nos colonies, les cirques et autres attractions s’enorgueillissent de leurs bêtes féroces, la publicité met les animaux a toutes les sauces, la mode s’enrichit d’accessoires animaliers les plus divers, et la caricature, dont cette période est reine, croque le monde politique et artistique en des animaux les plus débridés.
Ce qui peut nous apparaitre aujourd’hui comme une curieuse extravagance marquera aussi le monde littéraire avec le célèbre Chanteclerc d’Edmond Rostand et ses 70 animaux, ou le monde musical avec le Carnaval des Animaux de Saint Saëns.

Mais le “clou” de l’exposition, si j’ose dire, c’est cette très curieuse gravure représentant Marguerite Durand et son lion appelé “Tigre”. Le nom de Marguerite Durand est resté attaché au combat féministe, puisque, journaliste et fondatrice du premier journal écrit par des femmes et intitulé “La Fronde”, elle créera à la fin de sa vie un centre de documentation féministe qui existe encore aujourd’hui et nourrit de nombreuses études sur l’histoire du féminisme.
Et la légende de cette gravure ne manque pas d’intriguer: “Madame Marguerite Durand se présente aux élections à Montmartre, contre M; Escudier. Il y a beaucoup de bravoure à risquer cette campagne d’avant-garde, dont les fruits ne se recueilleront que plus tard. Madame Durand a pour hôte un jeune lion familier qu’elle a nommé Tigre et que lui a envoyé M. Merlaux Ponty*. On voit ici dans le salon de la rue Fortuny, Tigre nonchalamment étendu sur le tapis, au fond de la pièce est assis Saïd Ali, sultan de la Grande Comore”.
Voilà donc une légende qui ne peut que piquer la curiosité: d’abord, comment Marguerite Durand pouvait-elle se présenter à une élection en 1910, quand on sait que le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’en 1945 en France ?
Magie de l’internet, une rapide visite du site de la BNF nous apprend par un article du Figaro traitant des élections législatives d’avril 1910, qui écrit: “On n’a pas su si les dames qui briguaient nos suffrages avaient remporté un, très grand succès. Les présidents des sections n’ont pas compté les voix qui s’étaient rassemblées sur leurs noms. Il n’y a eu d’exception qu’en faveur de Mme Marguerite Durand, En effet, M. Gustave Téry, s’étant présenté devant le bureau électoral, a demandé au citoyen président, avec une grande politesse, de dénombrer les bulletins féministes. Le citoyen président s’est aussitôt employé à ce calcul, et il a trouvé que Mme Marguerite Durand avait obtenu plus de quatre cents voix.”
Et oui, cette femme, dès 1910, osait se présenter aux élections et obtenait tout de même 400 voix, d’hommes évidemment ! Et voilà donc l’explication de cette affiche caricaturant une femme, dangereuse contestataire de l’ordre établi, collant des affiches électorales avec la queue d’un lion, reprise sur l’affiche de cette exposition.
Quant à la présence du sultan de la Grande Comore en exil, Saïd Ali, dans le salon de cette féministe, s’il ajoute à l’exotisme d’une scène qui peut faire penser à Pierre Loti, elle reste pour le moins étonnante…
Gérard Poitou
*Il ne s’agit pas bien sûr du philosophe né en 1908, mais plutôt de William Merlaud Ponty, administrateur de l’Afrique Occidentale Française de 1908 à 1915.
“Ménagerie fin de siècle”
Centre Charles Péguy 11, rue du Tabour 45000 Orléans
jusqu’au 1er juillet du mardi au samedi, de 14h à 18h (entrée gratuite)

Les hommes politiques