La grande école des femmes : Geneviève Haroche le 30 novembre à Orléans

Professeur de littérature française à l’université d’Orléans, directrice de l’équipe de recherche CLARESS (de l’âge classique aux Restaurations) au sein du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes), spécialiste de Voltaire et de la littérature épistolaire, Geneviève Haroche-Bouzinac nous avait offert une belle biographie d’une artiste peintre traversant des périodes troublées : Louise Elisabeth Vigée-Le Brun. Ce portrait sensible et savant lui a valu deux prix prestigieux, « héroïne des deux mondes » pour suivre le parcours de La Fayette : le prix Chateaubriand 2011 sur cette rive de l’Atlantique, le Mellor Book Prize de l’autre côté.

Une pédagogue éclairée au service de la formation des élites féminines

Après avoir cheminé dans les rayons des archives françaises et américaines et fait un tour exhaustif de la bibliographie existante, Geneviève Haroche revient vers nous, heureux lecteurs, munie du récit romanesque de la vie passionnante et « mouvementée » d’Henriette Campan, femme de caractère, dotée, par la volonté de son père, interprète, chef du bureau de traduction aux Affaires étrangères, d’un bagage culturel et linguistique impressionnant et d’une curiosité d’esprit qui la rendent digne de participer aux réseaux intellectuels et épistolaires de l’Europe des Lumières.

L’entourage de la famille royale et le service de Marie-Antoinette

Entrée à la cour de Versailles comme lectrice des filles de Louis XV, puis passée au service particulier de la très jeune reine Marie-Antoinette, Henriette Campan née Genet, peu heureuse en mariage, est une observatrice privilégiée des derniers feux de la monarchie absolutiste, des petitesses et des jalousies de la cour, de l’isolement de la famille royale et du potentiel explosif de l’emprise de Mme de Polignac sur l’image de la reine dans une opinion, chauffée à blanc contre « l’Autrichienne ».

Eduquer les jeunes filles :
du pensionnat expérimental à la Maison de la Légion d’Honneur

Paradoxalement, en dépit de sa position de proximité avec la famille royale et ses drames personnels, son destin bascule vers la liberté à la faveur de la Révolution française.

Grâce à sa culture, à son appétence pour l’éducation en particulier des jeunes filles et à ses qualités pédagogiques, Henriette Campan retrouve une stabilité et des perspectives de vie, après le violent traumatisme de la Terreur, son lot de souffrances qui frappent les épouses et les enfants des « suspects » emprisonnés, voire guillotinés. Face au vide laissé par la fermeture des établissements religieux tenus auparavant par les congrégations enseignantes, Henriette Campan ouvre, à Saint-Germain-en-Laye, un pensionnat où elle expérimente sa méthode innovante d’éducation destinée à mettre à disposition des jeunes filles de « bonnes familles » de la Haute société une qualité et une exigence de connaissances aussi élevées que celles offertes aux jeunes garçons des écoles centrales puis des lycées. Elle vise à apprendre un « métier décent » à cette jeunesse dorénavant privée de l’assurance de vivre de ses biens. Sa méthode entend surtout conférer à « ses filles » les bonnes manières, le savoir-vivre, la capacité à bien recevoir qui en feront des épouses recherchées par les nouvelles élites, fusionnées par l’Empire, du talent, de la richesse et de la réussite sociale, mais aussi le goût des arts (dessin et peinture, musique, danse, théâtre). Pour forger de telles épouses et mères idéales, Henriette Campan tourne le dos à la médiocrité d’ambitions d’un enseignement féminin amputé des matières intellectuellement exigeantes. Grâce à sa ténacité et au soutien d’Hortense de Beauharnais (fille de Joséphine, reine de Hollande, mère du futur Napoléon III), elle réussit à surmonter obstacles et pénuries, autrement dit à former des Femmes savantes sans prêter le flanc à la critique d’en faire des Précieuses ridicules.

Nommée par Napoléon à la direction de la Maison de la Légion d’Honneur, elle ne peut toutefois le convaincre de contribuer à forger une élite féminine au sein d’une véritable « université des femmes », à l’excellence comparable à Polytechnique ou aux viviers des grands serviteurs civils de l’Etat, ingénieurs des Mines ou des Ponts-et-Chaussées, conseillers d’Etat ou Préfets.

Ce combat pour l’émancipation des femmes, en premier lieu au sein de la bourgeoisie, sera une longue marche rythmée par des conquêtes partielles et fragiles, de l’ouverture des lycées de filles par la Troisième République de Ferry aux premières femmes avocates (1900), magistrates (1946), polytechniciennes (1972). Mais ceci est une autre histoire, aussi passionnante que cette vie exceptionnelle d’une femme d’exception, personnalité d’élite qui, dans ses Mémoires, brosse une « revue des deux mondes », le tableau de la société de cour, d’ordres et de privilèges d’avant 1789 et le XIXe siècle marqué par l’héritage révolutionnaire, corrigé et consolidé par Bonaparte.

Pierre Allorant.

Geneviève HAROCHE-BOUZINAC, La vie mouvementée d’Henriette Campan, Flammarion, 2017, 600 p., 24,90 euros.

Après avoir présenté son ouvrage aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois mi-octobre, Geneviève Haroche-Bouzinac viendra en parler et le signer à la librairie Chantelivre (place du Martroi à Orléans) le 30 novembre à 17 h 30.

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