Est-ce un roman où un très long reportage ? Il y a les deux dans « La disparition de Josef Mengele » d’Olivier Guez que vient de couronner le jury du prix Renaudot. Les faits sont rigoureusement rapportés, l’histoire avance imperturbable dans le respect de la vérité historique, une trajectoire se dessine dans laquelle s’insèrent des dialogues, les rêves et les pensées, la médiocrité et l’égoïsme de celui qui fut jusqu’à la fin de sa vie un monstre.
Sur les pas de Mengele
Il faut bien du talent pour conduire en douceur et sans détour ses lecteurs sur les pas de ce docteur nazi à la triste (doux euphémisme) personnalité : il fut l’Ange de la mort à Auschwitz et un fuyard pitoyable et sans remord dans sa cavale sud-américaine longue de trente années.
Olivier Guez a consacré trois ans de sa vie à ce livre assez dense. Aucune fioriture, aucune digression, toujours le mot et la formule justes, au plus près de la vérité de l’homme, des situations et des éclairages nécessaires habilement distillés. Des pensées ou du ressenti de Mengele à un moment donné à celui de son entourage et au comportement politique des pays, tout est montré, pas jugé. L’immonde est apprivoisé tout en restant ce qu’il est, hideux, absurde et pourtant humain. A chacun d’en tirer une leçon. Pour Olivier Guez ce livre fut son chemin de Damas : « Je ne souhaite à personne d’avoir à se lever, chaque matin, en pensant à Mengele. Je vivais avec lui, avec ce personnage abject, d’une médiocrité abyssale. Je montais sur le ring. Je l’affrontais. Les six premiers mois, il m’arrivait de crier son nom la nuit », dit l’auteur dans une interview.
La triste vérité
De Josef Mengele l’opinion retient en priorité l’image d’un immonde collectionneur d’yeux humains épinglés dans son laboratoire d’Auschwitz. Horrible mais il y a pire encore. Olivier Guez le montre. Il a mené l’enquête de Günzburg en Allemagne à Serra Negra au brésil en passant par Bariloche sorte de Tyrol en argentin où le tortionnaire et d’autres nazis en exil qui ne valaient pas mieux allaient skier et le soir savourer une fondue.
Comment tous ceux-là ont-ils réussi à passer entre les gouttes ? D’abord parce que l’Argentine péroniste, nationaliste et autoritaire, a ouvert grand ses portes à ces réfugiés qui rêvaient d’un quatrième Reich, parce que sa culpabilité et l’obligation de se reconstruire empêchaient l’Allemagne coupée en deux d’opérer un réel ménage sur son sol, parce que le monde entier voulait oublier, parce que les Israéliens ont mis du temps à traquer les bourreaux des leurs.
En 1949, l’ancien médecin SS d’Auschwitz, le tortionnaire coupable d’expérimentations atroces sur les déportés arrive à Buenos Aires. En 1979, il décède d’une mort mystérieuse au Brésil. Dans cet intervalle, caché derrière divers pseudonymes, protégé par ses réseaux, soutenu par l’argent de sa riche famille, des industriels restés en Günsburg en Allemagne, Mengele vit confortablement du moins jusqu’au début des années 70. La traque reprend alors, menée par le Mossad puis par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal. Toujours soutenu par son réseau et sa famille il trouve un temps refuge au Brésil, auprès d’un couple de Hongrois dans une ferme reculée. Son errance ne s’arrêtera plus. Il finit noyé sur une plage brésilienne.
L’histoire est inouïe et nous interpelle. Comment ce cynique tortionnaire comme d’autres du même acabit ont-ils pu passer à travers des mailles du filet des sociétés ? Dans cet ouvrage la barbarie nazie se survit dans les ambiguïtés d’un occident en route vers sa modernité.
F.C.
La disparition de Mengele, Olivier Guez
Grasset 236 pages 18,5 euros