Critiqué pour sa proximité avec Nicolas Sarkozy et sa gestion du dossier Bettencourt, l’ancien procureur de Nanterre donne sa version.
Personnage central de la polémique liée au traitement judiciaire de l’affaire Bettencourt, Philippe Courroye était jusqu’à présent resté silencieux. Ayant donné du temps au temps, le magistrat actuellement avocat général à la cour d’assises de Paris publie « Reste la justice…. », livre, dans lequel il revient sur trente ans d’affaires politico-judiciaires. Longtemps juge d’instruction redouté à Lyon puis au pôle financier de Paris, Philippe Courroye a été le tombeur de Michel Noir, maire de Lyon et d’Alain Carignon ministre d’Edouard Balladur. Il a été chargé des affaires qui mirent en cause Charles Pasqua et, procureur général à Nanterre, il a initié l’affaire Bettencourt qui a entrainé sa mutation à la cour d’assises de Paris.
“Mon livre n’est pas un règlement de compte”
Meurtri par le traitement qui lui a été réservé à l’issue de cette affaire ce haut magistrat a attendu dix ans pour donner son sentiment. « Il faut du temps pour écrire un livre qui ne soit pas une simple réaction à chaud. Depuis que j’ai quitté Nanterre beaucoup de contre-vérités ont d’ailleurs été déconstruites. Mon livre n’est pas un règlement de compte. Il contient le rappel d’éléments factuels et se propose, outre une réflexion sur notre système judiciaire, de démanteler une série de contre-vérités. De ce point- de vue, j’ai été servi. », constate-t-il.
Philippe Courroye dément avoir été nommé à Nanterre en 2007 par Nicolas Sarkozy afin de de jeter un voile sur les affaires peur reluisantes de son département les Hauts-de-Seine. Il a fait son métier, rien que son métier en son âme et conscience avec les éléments dont il disposait. « Je n’ai jamais appartenu à un parti, à un syndicat, à un cabinet ministériel. Je n’ai pris aucune décision professionnelle dont ma conscience ait à rougir. Je n’ai jamais été condamné pas plus que je n’ai fait l’objet de sanctions disciplinaires. J’ai rencontré le président de la République Nicolas Sarkozy. Un magistrat doit-il s’interdire de discuter avec lui non pas des dossiers en cours mais de sujets institutionnels et pas seulement avec le président de la République mais avec n’importe quel politique de premier plan ? », écrit-il.
Il se plaint du rôle des medias « d’une forme d’inquisition médiatique qui exige des coupables qu’elle désigne elle-même avant que la justice ait le temps de ses prononcer. Cela peut conduire des magistrats à une tentation de se transformer en justiciers. L’affaire dite « du Carlton de Lille » dans laquelle Dominique Strauss-Kahn a été relaxé, illustre parfaitement la problématique de la morale infiltrée dans le judiciaire ». Et de rappeler que tout magistrat ne doit jamais oublier qu’il ne traite pas des dossiers mais des destins.

En 492 pages d’une écriture ferme et claire, le grands professionnel qu’est Philippe Courroye apporte une réflexion sur les rapports compliqués qui de nos jours se sont installés entre justice, médias et politique, ce qui peut conduire à entraver l’indépendance de la magistrature et donc de la justice. Le procès Bettencourt, histoire de famille aux rebondissements ubuesques devenue une affaire d’Etat est de ce point de vue emblématique. L’auteur montre à quel point la mission du juge ou du procureur est devenue difficile du fait de la porosité du secret de l’enquête.
C’est en serviteur et en fin connaisseur de la justice telle qu’il aborde les problèmes que doit résoudre notre politique pénale : zones de non droit où prospèrent toutes sortes de radicalisation, prisons vétustes et insuffisantes d’où inexécution des peines.
F.C.
“Reste la justice…”, Philippe Courroye
Editions Michel Lafon, 492 pages 20,95 euros