Oser le narcissisme, poser savamment pour les artistes, serait un véritable vecteur pour s’assumer. Telle est l’idée force de l’ouvrage signé Florence Rivières, surgit récemment en librairie comme un pavé dans la mare bien-pensante assimilant les modèles à des femmes-objets. Une réelle démarche féministe pour cette jeune femme de 27 ans, modèle depuis 10 ans, et détentrice d’une licence de philosophie.

(c) Coline Sentenac.
L’Art de la pose (osez le narcissisme) est un ouvrage qui balaie tous les clichés de l’art d’être modèle. Florence fait partie de ces femmes pleine de douceur qui nous paraissent “banales” au premier abord et qui une fois en action, posée, se transforme et se révèle dans toute sa féminité », déclare la styliste orléanaise Marie Boissonnet, plus connue sous le nom de Mary Mystery. Plusieurs de ses créations (dont deux présentées dans l’ouvrage) ont contribué à la réalisation de photographies ayant Florence Rivière comme modèle, tout comme celles d’une autre styliste orléanaise, Caroline Garoscio (Volute Corset). Mais Marie Boissonnet s’est tellement sentie en symbiose avec l’auteure qu’elle a voulu être une des premières à l’aider dans l’autoédition de son ouvrage, disponible sur internet et dans quelques librairies indépendantes de Paris et de province, dont Les Temps modernes, à Orléans.
L’ouvrage est un pavé, une œuvre somptueuse, richement illustrée, composée avec soin. Ce n’est pas un simple témoignage, pas une énième biographie d’un modèle, mais un ouvrage de référence que d’aucuns tenteraient même d’assimiler à une thèse sociologique, voire un plaidoyer philosophique, tant les récits d’expériences personnelles sont imbriqués avec moult citations d’auteurs de référence sur l’art, sur la photographie, et sur les rapports particuliers qui lient pour chaque cliché le modèle, le photographe et le spectateur. Le propos, présenté en écriture inclusive, résolument féministe, dérangera certains, en déroutera quelques-uns, et contribuera certainement à en faire rêver beaucoup d’autres.
Casser l’image de la femme-objet !

Coline Sentenac
Aidée en toute complicité dans l’élaboration et l’écriture par la photographe (et professeur de philosophie) Julie de Waroquier, invitée d’honneur 2017 des Rencontres photographiques d’Ingré, Florence Rivières veut ici défendre la cause des modèles alternatifs (ceux qui ne sont pas en agence), tenter de définir le pourquoi et le comment de la pose en photographie et, surtout, casser beaucoup d’apriori sur le sujet. Non, les modèles photo ne sont pas des potiches, pas des femmes-objets, mais bien, à leur manière, et dans des cadres particuliers, de véritables actrices, parties prenantes de la qualité de l’image au même titre que les autres intervenants. Quand elles ont compris que l’on ne fait pas des photos « pour se montrer », mais pour participer à une œuvre commune.
En six chapitres aux références précises, elle aborde toutes les problématiques du choix d’être modèle, des rapports avec les photographes, des conditions de travail et de rémunération, comme des rapports sociaux qu’une telle activité peut induire, en en tirant des conclusions argumentées qui ne manqueront pas de surprendre, d’entrainer le questionnement sur les rapports avec soi-même, avec son propre corps et avec les autres. Pas « les autres » du milieu artistique, mais « les autres » que l’on côtoie tous les jours, au hasard des rues, et qui portent souvent des jugements erronés sur l’activité ou la personnalité du modèle, par le simple jugement d’un cliché, surtout quand il montre une nudité.
« Ce livre tisse l’histoire d’un processus. Le processus du rejet de soi-même à son dépassement, en passant par son appréciation et son acceptation. Le processus de séparation des notions de corps et d’image du corps pour pouvoir replacer sa conscience en phase avec le premier sans la laisser se submerger par la préoccupation de la seconde ». À 18 ans, quand elle a commencé à poser, Florence Rivières ne correspondait pas aux critères traditionnels demandés pour être modèle, et se trouvait moche. Depuis, elle a multiplié les expériences, heureuses ou malheureuses, appris à maitriser son corps et ses émotions, pour mieux les faire vivre, en s’impliquant pleinement dans son activité de « modèle ». Une activité par ailleurs libératoire, qui transcende les codes habituels de représentation de la femme et, qui, à ces yeux, s’affirme comme une démarche réellement féministe.
Alors, dit-elle, faut-il pour autant appeler cela du narcissisme ? Certainement, si ce narcissisme s’exprime comme une recherche de soi, une volonté d’accomplissement, et non d’admiration stérile… Nul doute que cela devrait contribuer à susciter quelques vocations bien réfléchies…
Jean-Luc Bouland