Aux 21e Rendez-vous de l’Histoire de Blois, on aime bien les grands écarts. À grandes enjambées, si on s’y prend bien, on peut passer dans la même journée de l’art du paléolithique de Lascaux, Chauvet ou Niaux en s’interrogeant sur cet art pariétal comme un art de cour ou pas (avec le paléontologue Emmanuel Guy) ; jusqu’à la fabrique éventuelle des icônes modernes par l’intermédiaire de la photo de presse, avec le photojournaliste Laurent Van Der Stockt du Monde, qui photographia notamment la bataille de Mossoul (Irak).

Laurent Van Der Stockt (à g.) photographe au Monde, et Marie Smulla, directrice éditoriale photo au Monde.
Entre temps, il aura été possible de faire quelques détours par le quattrocento italien (conférence “L’image et son lieu” dans la salle des états généraux du château royal au plafond orné de 6.000 fleurs de lys…) en se demandant si les pouvoirs de l’image ne s’exerceraient pas qu’en des lieux : églises, maisons, palais, places publiques ou musées. En effet l’image “honore le lieu, les gens”. “De quels moyens disposent-elles pour exercer cette fonction ?”, “comment mesurer ses effets ?”, bref : “c’est l’image qui fait le lieu”.
Oui mais voilà : ” Il y a de plus en plus de gens qui prennent des photos, mais de moins en moins de photographes” s’est-on interrogé autour du photojournaliste Laurent Van Der Stockt du Monde, “quand une photo est prise quelque part dans le monde, en 10 secondes toutes les rédactions ont la même image”. Forcément cela interroge et bouscule les modes de fonctionnements des journalistes, des photojournalistes, et des directeurs éditoriaux qui doivent très vite sélectionner laquelle montrera quelque chose, racontera une histoire, par sa qualité, sa force intrinsèque, sa portée la plus large possible. Comme ce fut le cas, au Monde pour la Une du 4 septembre 2015. Cette photo que le monde entier a vue, publiée la veille dans The Guardian, a ému au delà de l’imaginable, jusqu’à interpeller des chefs d’État sur l’air du “combien de temps allons-nous encore devoir supporter ça ?”. Et puis… ça n’a finalement rien changé, ou quasiment rien. “Ce qui prouve qu’une image ne change pas le monde” déplore Nicolas Gimenez, rédacteur en chef au Monde, qui a pris la responsabilité finale de publier en Une cette photo de Nilufer Demir.
Les chasseurs-cueilleurs, pas si égalitaires que ça ?

Emmanuel Guy et le panneau des chevaux de la grotte Chauvet. Environ -33.000 ans.
Mais c’est peut-être avec Emmanuel Guy, historien de l’art paléolithique et docteur en préhistoire, que le voyage dans le temps tel qu’il est possible de le faire aux Rendez-vous de l’histoire fut le plus fascinant. Traversant à grands traits son dernier livre Ce que l’art préhistorique dit de nos origines (Flammarion), le paléontologue nous emmène entre -40.000 et -10.000 ans avant notre ère. Là, au fond des grottes de Niaux, Chauvet ou de Lascaux, des hommes – “ou des femmes”, prend-il bien soin de préciser – dessinent sur les murs sans que cela soit réprimandé. Ces chasseurs-cueilleurs naturalistes, reproduisant fidèlement le réel avec un goût très sûr et une technicité qui interroge encore aujourd’hui, E. Guy se demande si ça ne serait pas là une des toutes premières formes d’art de cour, une évocation du pouvoir, à la fois parce que ceux (ou celles) qui dessinaient faisaient montre d’une maîtrise des techniques comme peu devaient savoir le faire à l’époque ; mais aussi parce que cette stabilité des codes visuels – on retrouve parfois les mêmes “coups de crayons” à des milliers de kilomètres des grottes citées précédemment, en Espagne, au Portugal ou dans les Pouilles italiennes par exemple – veut “montrer” quelque chose du prestige qui, comme chacun sait désormais, est fait pour être montré.

Emmanuel Guy, docteur en préhistoire, historien de l’art paléolithique.
Sans Facebook ni Instagram, ces chasseurs-cueilleurs, sociétés qu’on croyait si égalitaires jusqu’alors, pourraient avoir inauguré les premières formes de sociétés hiérarchisées, par des formes d’appropriation qui ont donné le même type d’inégalités qui viendront plus tard avec l’agriculture. Leur point commun : le stockage des denrées alimentaires, abondantes ressources saisonnières qui précèdent de longues pénuries saisonnières… On reparlera de ce livre (1) !
F.Sabourin
(1) Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, Emmanuel Guy, Flammarion 2017.