L’un est illuminé et cosmique, l’autre plus classique et inventif : les deux jazzmen ont enflammé la scène du théâtre !

Thomas de Pourquery
cl Marie Line Bonneau
Depuis quelque temps on entendait une rumeur sourde susurrée dans les recoins du Carré-Saint-Vincent : à quand le retour du « vrai jazz ? » au festival bien nommé « Jazz or Jazz » de la Scène Nationale. Certains « intégristes » n’hésitant à manifester leurs attentes du retour des « fondamentaux » après une plongée profonde dans les eaux de la « world music », du jazz métissé d’Afrique et de Cuba avant l’apothéose attendue du maître Selif Keita.
Et puis le miracle est arrivé vendredi soir avec le double concert de Thomas de Pourquery et d’Erik Truffaz, deux maîtres du saxo et de la trompette mais aussi d’un jazz créatif et innovant, dépassant des limites bien bordées. A priori les deux jazzmen vivent sur deux planètes différentes, l’un cosaque tonitruant et explosif, l’autre bohème et urbain. Malgré ces différences le jazz et la poésie les réunissent dans des envolées lyriques et lunaires où le saxo se conjugue habilement avec la musique électronique et ses envolées planantes.
Thomas de Pourquery, supersonic
Avec son quintette Supersonic, Thomas de Pourquery mène un combat contre ses pulsions libertaires et illuminées explorant des mondes parallèles. Immergé dans son spectacle « sons of love » on le sent inspiré par Stan Getz pour le saxo, par Franck Zappa pour la voix, par Sun Ra pour l’exploration de mondes lointains avec une musique polyphonique qui nous entraîne loin de la scène avant de retomber sur terre.
Tour à tour acteur, animateur chaleureux de scène enrôlant le public dans son spectacle Thomas de Pourquery mobilise les énergies avec sa voix inimitable et son jazz électrique endiablé alternant ballades doucereuses, morceaux fiévreux et déchaînements électriques. On frôle ici les frontières du rock, parfois de la pop, avec un hard jazz voire même un post jazz mais au service d’un même mission : emmener le public vers les transes, le faire évader par la poésie de cette triste réalités quotidienne. Thomas Pourquery sait faire, et quand il explose c’est pour mieux se retrouver et entrainer un public béat et abasourdi par sa poésie et les envolées de son saxo comme Bruel le ferait avec ses midinettes. Le charme est complet et le public pas rassasié.
Virtuosité et inventivité d’Erik Truffaz
Mais Erik Truffaz allait-il faire retomber la pression ? Il est certes moins volubile que son compère, moins « populiste » (c’est à la mode !) pour subjuguer le public dans sa bulle, moins exubérant en affichant une vision plus calme et plus bohème de la musique. Mais méfions-nous des eaux calmes ! Entouré d’une équipe rodée à tous les exercices et surtout du rappeur Nya qui se trémousse pour mieux partager son rap urbain et apaisé.

Erik Truffaz Feat NYA cl Marie Line Bonneau
En jouant l’album Bending New Corners Erik Truffaz lui aussi dépasse les limites et assène magistralement cette vérité : le rap peut être autre chose qu’un texte appauvri et déclamé avec des déclamations martelées. La petite musique verbale de Nya au contraire se moule, se coule dans la trompette d’Erik Truffaz pour occuper tous les interstices entre ballades et musiques endiablées, entre virtuosité et inventivité. Et là encore le charme opère, entraîne avec des envolées électriques, des suites plus contemporaines, des fonds de voix et de percussions.
Magie de la soirée, les deux musiques, celle de Thomas de Pourquery et d’Erik Truffaz, s’opposent parfois, se confrontent et souvent s’interpellent. Et se rejoignent même quand les deux musiciens se retrouvent ensemble sur scène pour un final commun, trop rapide hélas !
J.JT.
L’album photos de Marie Line