Par Gérard Hocmard
Il n’y a pas si longtemps, deux générations tout au plus, chacun en France avait des parents ou grands-parents, au moins des cousins, qui vivaient à la campagne. On allait chez eux passer des vacances, ou bien on s’arrêtait les voir et on rentrait avec les légumes, le pâté ou les confits, le bocal de cornichons qu’ils vous avaient mis dans les bras au moment de partir.
Chez eux il y avait des poules et on marchait dans la fiente en allant accompagner la cousine qui vous emmenait chercher les œufs juste pondus. Leur fichu coq vous réveillait le matin à des heures indues, avant que le tracteur du voisin ne vous tire à son tour du sommeil où vous veniez de replonger. Il y avait de la bouse sur les routes, où les vaches rentrant le soir se faire traire avaient la priorité. Les chiens, qui n’en avaient pas encore vu d’autres, aboyaient quand on passait à vélo. Éventuellement l’eau était à la pompe et les toilettes au fond du jardin. À la ferme d’à-côté où vous accompagniez les cousins pour chercher le lait le soir, l’étable puait et vous rigoliez ensemble en vous bouchant le nez pour passer à proximité du tas de fumier.
C’était la campagne et l’on était n’était finalement pas mécontent, bon bol d’air pris, de retrouver au retour un autre monde, celui de la ville, avec sa nervosité, son bruit, ses vapeurs d’essence. Mais on connaissait les réalités de la vie « au grand air » et on les acceptait pour ce qu’elles étaient.
Les liens se sont distendus. Combien d‘entre nous, en ville, connaissons encore de près le monde rural ? Il se vide, d’ailleurs. Il n’y a qu’à traverser des villages pour voir les commerces abandonnés, les maisons à vendre, constater que le chef-lieu de canton hier encore vivant a perdu ses boutiques, ne garde sa poste ouverte que le matin et paraît peuplé de vieilles dames. La vie en a reflué. Ce qu’il y reste a un confort domestique naguère inespéré, l’eau courante et le tout-à-l’égout, la télévision quoique pas toujours l’internet ou le réseau pour els portables. Les modes de vie se sont rapprochés mais une coupure a eu lieu et l’incompréhension s’est installée.
Pour en juger, il suffit de voir le procès fait cet été à Maurice, le coq qui n’en peut mais d’être un coq et de chanter au lever du soleil, ou les conflits signalés çà et là parce que les cloches sonnent, que les oies cacardent, que les élevages puent et que les néo-ruraux venus profiter de maisons à acheter pas cher ne le supportent pas. Soucieux de fuir la ville, son rythme, ses bruits et ses insécurités, ils ignoraient les réalités de la vie à la campagne ou n’avaient plus eu l’occasion de s’y frotter.
Le résultat est douloureux pour ceux qui croyaient trouver le paradis terrestre et dont la nouvelle vie leur paraît un enfer. Il est pire encore pour les villageois, dont le sentiment d’être oubliés et condamnés à vivre à la périphérie se double des tracas infligés par de nouveaux-venus chicaneurs. Indépendamment de tout problème de pesticides et de souci d’environnement, on comprend leur ras-le-bol.
Gérard Hocmard