Municipales 2020, mode d’emploi

Par Pierre Allorant, doyen de la Faculté Droit, Economie Gestion d’Orléans

Dans deux mois, nous serons au milieu du gué : le premier tour des élections municipales du 15 mars aura livré son verdict, désistements, alliances et fusions auront été opérés fébrilement dans le sillage du décryptage des résultats et des négociations nocturnes ; restera à attendre le second tour, et parfois, en particulier à Paris, le troisième tour implicite que constitue la recherche d’une majorité claire pour l’élection du maire.

À Orléans comme à Tours, à défaut d’arrondissements de la loi « PLM », l’élection d’une équipe de gouvernance à la métropole fera office de couronnement de cet épisode démocratique si ancré dans nos usages civiques. Mais d’où vient cet attachement sans pareil au scrutin municipal, au milieu de l’océan de défiance qui frappe régulièrement du sceau de l’indifférence abstentionniste les autres élections locales, singulièrement les départementales et régionales qui nous attendent au printemps 2021 ?

Un long dimanche de fiançailles avec les citoyens : l’aspiration biséculaire au libre choix du maire

Avant même le tournant révolutionnaire de 1789, les élites urbaines s’intéressent aux enjeux municipaux, mais les modalités de choix des échevins mobilisent une minorité des habitants en un partage et une rotation des corps et des familles de notables. Seules les assemblées de village initient une forme de démocratie de base dépourvue de barrière statutaire ou de fortune.
Si l’élan décentralisateur de l’Assemblée constituante a été discuté, les pratiques électives se généralisent dans le souci d’assurer une application uniforme et égalitaire de la loi, expression de la volonté générale de la nation. Mais qu’il est difficile de trouver partout, au sein des 44 000 communes très majoritairement rurales, des compétences gestionnaires et des citoyens volontaires pour exercer gratuitement des responsabilités ingrates, potentiellement impopulaires, de la répartition des contributions à la conscription !

En 1795, le Directoire apporte une réponse à cette difficulté à concilier démocratie et efficacité : réserver la municipalité au chef-lieu de canton, y concentrer l’administration : c’est ce que nous avons appelé, deux siècles plus tard, la coopération intercommunale. Bonaparte y apporte une solution apparemment démocratique, en réalité technocratique et autoritaire : le retour aux 44 000 municipalités communales, mais surplombées par le sous-préfet d’arrondissement, réel administrateur, maître d’orchestre et avocat-conseil des maires de village. L’aspiration des habitants à choisir leurs administrateurs de base s’impose toutefois par étapes, de l’élection des conseillers municipaux par les contribuables depuis près de deux siècles au choix obligé du maire parmi ces élus, consacré par le suffrage universel masculin en 1848 puis mixte en 1944.

Un maire, pour quoi faire ? Une métropole nommée désir

Reste qu’aujourd’hui, dans nos 22 métropoles, et pour celle d’Orléans, dans chacune des 22 communes, l’élection est devenue aussi indirecte qu’un scrutin sénatorial. En votant sur un projet municipal incarné par une tête de liste, les citoyens ne font qu’à peine la moitié du chemin vers la décision politique, vers les véritables stratégies de développement urbain.

Choisir son conseil municipal guide bien l’élection du maire, mais pour quoi faire, quand la plupart des questions du quotidien – mobilité par transports en commun, accès aux soins, à l’enseignement supérieur, au logement – dépendent au minimum de l’articulation métropole-region?

Or la base de la démocratie demeure le contrôle de l’utilisation de l’argent public par le peuple à travers des procédures lisibles. Force est de constater qu’après quatre décennies de décentralisation, nous en sommes encore très loin.

Scrutin local, enjeu national. Prime au sortant ou « balance ton maire »?

Question clé, particulièrement depuis que l’émergence du macronisme a fait imploser et la gauche et la droite : quel impact aura le climat national, échauffé par le si controversé projet de réforme des retraites, sur les choix municipaux des électeurs ? Quelle part de la décision sera réservée à l’appréciation des bilans et programmes communaux, à l’évaluation de l’action du maire sortant ?

Très loin des folles espérances de conquête municipale des lendemains de 2017, Emmanuel Macron se contenterait sans peine de sauver Lyon et de conquérir Paris, victoires dont l’éclat médiatique masquerait la modestie de l’implantation territoriale hexagonale d’un mouvement qui, après avoir marché sur l’eau, semble surtout hors-sol.

De même, les grands brûlés de la présidentielle et des européennes, le PS et la droite, s’accrochent comme à une bouée de sauvetage à leurs bastions métropolitains : Lille, Nantes et Rennes et leurs femmes maires roses aux bilans solides, et pour la droite, les masures fragilisées de Bordeaux, déstabilisée par le départ brutal de Juppé, et de Marseille avec l’effondrement tragique de la maison en viager du patriarche Gaudin, en rade sur le Vieux-Port.

Respiration démocratique ?

L’incontestable souffle environnemental, encore renforcé par le brasier australien, va-t-il emporter une ou plusieurs métropoles à la suite du bastion grenoblois ? Si Montpellier, Bordeaux, Rouen, Tours voire Lyon, à la faveur des divisions des municipalités sortantes, basculaient dans l’escarcelle des Verts, ce serait, sous une autre forme, une nouvelle vague de dégagisme et sans doute un espoir pour 2022 – une respiration, pour employer le mot dans l’air du temps -d’échapper au match retour annoncé de 2017. « Libéral-progressisme » contre écologie politique, l’affiche serait plus alléchante et moins anxiogène pour notre santé démocratique que la répétition dangereuse de la confrontation stérile de la parole réformatrice d’en haut et du populisme d’en bas.

P.A.

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