Quand Victor Hugo dénonçait le vandalisme municipal d’Orléans

Alors que la réouverture de la Cathédrale de Paris rappelle le rôle de Victor Hugo dans la défense de ce patrimoine architectural et religieux, le sort de l’Hôtel Dieu d’Orléans illustre un combat du grand écrivain qui ne fut malheureusement pas toujours gagnant.

Par Gérard Poitou

Façade principale de l’ancien Hotel Dieu d’Orléans Aquarelle par Charles Pensée, 1842,
Repro. Cantalupo, Thierry. © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général.

La fondation de l’Hôtel-Dieu remonte à 1150, lorsque le doyen du chapitre de Sainte-Croix, Etienne de Garlande, décide d’affecter plusieurs maisons de sa propriété, situées entre la porte Parisie et la Tour Salée à l’intérieur de l’enceinte, à l’établissement d’un hospice. Et l’Hôtel Dieu va au fil des siècles agglomérer des bâtiments et se développer sans véritable plan, au grès des dons qui financent ces agrandissements. Point d’architecte des bâtiments de France, la construction s’adaptera au style et aux moyens de chaque époque.  

Au début du XVe siècle, sur ordre de Louis XII, on construit un grand bâtiment, long de 40 m, constitué de 2 grandes salles superposées, destiné au logement des malades, la salle Saint-Lazare, remarquable par la hauteur de son rez-de-chaussée dont le plafond était soutenu par neuf fines colonnes de pierre. De nouvelles salles sont construites entre 1621 et 1625, à l’ouest de la salle Saint-Lazare, et revenant à angle droit jusqu’à la place du parvis de Sainte-Croix.

Un souci hygiéniste

Dès la moitié du XVIIIe siècle, la reconstruction de la tour nord de la cathédrale détruite par les Huguenots entraîne la démolition des bâtiments masquant la vue du portail. Pour compenser cette perte, dont une chapelle, seule survivante des destructions huguenotes, de nouveaux bâtiments sont construits à l’ouest sur une parcelle située dans les limites du cloître de la cathédrale. Pourtant le souci hygiéniste se manifeste dès la fin du règne de Louis XV s’inscrivant dans le vaste mouvement médical métamorphosant l’hôpital d’institution de séparation et d’exclusion en instrument thérapeutique: l’hôpital ne pouvait plus être un univers sombre, obscur, situé en plein cœur de la ville, propageant ses miasmes et ses déjections. En 1760, la ville décide donc de transférer l’hôpital vers l’extérieur à la Porte Madeleine mais il faudra près d’un siècle pour que se concrétise cette décision élaborée entre autre par l’architecte de la Révolution, Benoit Lebrun, auteur de nombreuses destructions de bâtiments religieux.
Enfin en 1844, l’hôpital de la Porte Madeleine accueille les 300 patients déménagés de l’antique Hôtel-Dieu que le manque d’entretien et le délabrement rendait dangereux. Mais alors que la commission Mérimée s’inquiète de la destruction d’un édifice qui marque l’histoire de la cité, pour le maire Lacave l’ancien Hôtel-Dieu ne méritait aucune attention : « L’érection de cet antique édifice, dont le délabrement blesse tous les regards, et qui obstrue l’aspect de notre belle cathédrale, remonte à une époque où l’application des règles d’hygiène à l’art des constructions était peu connue ou peu pratiquée […] »

Un marché de dupes

Le conflit s’envenime et à l’été 1844 Prosper Mérimée, le Stéphane Bern de l’époque, se rend à Orléans et n’obtient qu’un marché de dupes avec l’engagement de la conservation par la ville de la seule salle Saint Lazare. Le comte de Montalembert reprend l’affaire au début de l’année 1846 et dénonce devant la Société française pour la conservation des monuments, un acte de vandalisme motivé par une stupide prétention de mieux valoriser les beautés de l’église cathédrale, il stigmatisait « les départements, les conseils municipaux dévastateurs assimilés aux hommes du XVIIIe siècle qui trouvaient l’art ogival barbare ». Trois jours plus tard il annonçait à ses collègues du Comité des arts et monuments la démolition presque complète de l’Hôtel-Dieu d’Orléans et formulait des craintes pour la préservation de « la principale salle encore debout ». Victor Hugo joignit sa voix à celle de son collègue de la Chambre des pairs le 7 février suivant pour réclamer la dénonciation publique des agissements des assemblées locales orléanaises . Dans un bel élan d’humanisme, à la préservation de l’architecture, s’ajoutait pour les défenseurs de l’Hotel-Dieu, le respect d’un lieu témoin de la souffrance humaine…

Rien n’y fit et le 15 avril 1846, l’adjudication de la démolition fut prononcée avec obligation pour les démolisseurs d’avoir tout déblayé pour le 1° janvier 1848. Il reste aujourd’hui deux vestiges à Orléans de ce bâtiment millénaire oublié: la porte monumentale de la salle Saint Lazare à l’intérieur de la cour de l’Hôtel des Crénaux et deux grandes colonnes sur le grand mur aveugle de la cour de l’hôtel Cabu.

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Sources:
https://journals.openedition.org/insitu/13946
http://morgann.moussier.free.fr/orleans/edifices/hotel_dieu.html
https://shs.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2002-1-page-135?lang=fr#s1n4

 

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