Le rituel du 1er mai, une litanie encore nécessaire ?

Ce 1er mai, la rue a récité une messe familière, entre ferveur militante toute relative et fatigue syndicale. Un rendez-vous qu’on honore encore, parce qu’il reste, malgré tout, le refuge d’une mémoire qu’on refuse de voir disparaître.

Manifestation du 1er mai 2025 à Orléans
Un millier de personnes ont grossi le cortège du 1er mai 2025 à Orléans. Photo Magcentre


Par Mael Petit.


Chaque année, le même décor : banderoles rouges, slogans familiers, cortèges disciplinés et merguez fumantes. Le 1er mai, jour de lutte sociale, ressemble de plus en plus à un rite figé, un moment de communion laïque où l’on rejoue, sur le pavé, une mémoire militante qui dépasse parfois les revendications du jour. Au-delà de la simple manifestation, le 1er mai est un rendez-vous récurrent, presque sacré, du monde syndical et militant. Entre fidélité symbolique et scénographie codifiée, pourquoi répète-t-on inlassablement les mêmes rituels, même quand les victoires se font rares ? Quand la musique ne fait plus vraiment trembler les murs du pouvoir ? Peut-être justement pour ça. Pour ne pas se taire.

Souvenir de luttes

L’histoire du 1er mai commence loin d’ici, et dans le sang. En 1886 à Chicago, des ouvriers en grève réclament la journée de huit heures. La tension monte, la police tire sur les manifestants, et le 4 mai, lors d’un rassemblement à Haymarket Square, une bombe explose. La répression est brutale, plusieurs syndicalistes anarchistes sont condamnés à mort. Épisode dramatique qui fera du 1er mai un symbole international de lutte ouvrière. Trois ans plus tard, la Deuxième Internationale socialiste à Paris choisit d’ailleurs cette date comme symbole de la lutte des travailleurs, alors qu’en 1891, la manifestation du 1er mai en France tourne au drame avec la fusillade de Fourmies dans le Nord qui se termine par la mort d’une dizaine de manifestants.

Alors on défile parce qu’on se souvient. Parce que chaque banderole, chaque slogan éculé, charrie un morceau de cette mémoire. Pour ceux qui ont connu les belles heures syndicales, ne pas être là serait presque un reniement. Le 1er mai n’est plus un moment de conquête, mais il entretient le lien pour les quelques-uns qui font acte de présence, comme un refus du silence. Quand le pouvoir semble sourd, quand les gouvernements enchaînent les réformes impopulaires sans trembler (retraites, chômage, fiscales, éducation…), manifester devient une forme d’obstination.

Un syndicalisme affaibli, un 1er mai figé ?

Mais la lassitude se ressent. Les cortèges moins fournis, les pancartes recyclées. Et les slogans parfois sonnent creux. Les syndicats, eux, peinent à mobiliser. Malgré un sursaut pendant la révolte contre la réforme des retraites en 2023, moins de 8 % de salariés sont aujourd’hui syndiqués, symbole d’une désaffection résultant d’une série d’échecs cuisants face aux gouvernements successifs, le passage de la retraite à 64 ans étant le dernier exemple marquant en date.

Pourtant, malgré le doute, le rituel perdure. Peut-être parce que le 1er mai n’a plus vocation à faire bouger les choses, mais à exister. C’est un lieu de rencontre, un rendez-vous coché sur le calendrier où l’on se presse dans la rue bien que celle-ci ne mène nulle part. Et ce, même si ces dernières années, dans les cortèges, d’autres voix s’élèvent, plus jeunes, plus radicales aussi. Parfois en rupture avec les vieux codes syndicaux. Des collectifs féministes, queer, écolos, antiracistes… Ne reprenant pas toujours les slogans des anciens, mais s’esquissant dans le même tableau : la rue. C’est peut-être là que la répétition devient réinvention. Où la liturgie se fissure pour laisser place à d’autres formes de croyance.

Alors pourquoi se farcit-on encore le 1er mai ? Parce qu’il reste un acte, une manière de dire non, encore, mais sans illusion. Parce qu’il faut bien une scène pour le dire. Parce que la rue, ce jour-là, appartient encore à ceux qui l’ouvrent, la remplissent, la font vivre. À l’heure où les victoires relèvent de la nostalgie, rester visible devient une fin en soi. Et s’il ne restait plus que le rituel, comme dernier bastion de la lutte collective ?

Les images du 1er mai à Orléans


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Commentaires

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  1. Il y avait encore plus de monde dans la rue cette année que de lecteurs de l’article défaitiste et mal documenté de Mael Petit.

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