En Roumanie, le Nouvel An 1990 a bien eu lieu, mais sans Ceaușescu

Bogdane Mureșanu nous plonge dans la Roumanie de décembre 1989, un pays toujours sous contrôle étatique, mais en pleine effervescence. Il entremêle les histoires de plusieurs personnages qui, chacun à leur manière, participent à la chute du dictateur Ceaușescu, le 22 décembre 1989. Un film choral orchestré en crescendo.

La belle ambiance des pays de l’Est avant la chute du mur… Photo Memento Distribution.




Par Bernard Cassat.


Dans Ce Nouvel An qui n’a pas eu lieu, le jeune réalisateur Bogdane Mureșanu détache ses personnages petit à petit d’un quotidien roumain lourd et étouffant. Une vieille dame en plein déménagement, un ouvrier qui renverse par inadvertance de la peinture rouge sur des banderoles de manifestation, deux étudiants dans une cité universitaire. Des gens ordinaires… Et puis dans le milieu de la télévision, un sérieux problème se pose aux dirigeants : les chants patriotiques préparés pour célébrer la gloire de Ceaușescu doivent être refaits. La belle chanteuse modèle a craché sur le régime.

La remplaçante qui ne veut pas chanter les louanges au leader.
Nicoletta Hancu. Photo Memento Distribution.


C’est ce genre d’humour qu’installe Mureșanu. Les peurs des petits chefs rejaillissent sur les équipes. Le réalisateur de télé convoqué en urgence pour trouver une solution de remplacement devient un gamin que l’on humilie. Le film retrouve là la veine de cet humour des anciens pays de l’Est, une dérision profonde du système en poussant un peu loin les logiques de rapports humains pervertis par les peurs de sanctions, ou pire. Des solutions bricolées pour contenter le pouvoir en se mouillant le moins possible. Et bien sûr tout déraille.

Le réalisateur télé, joué par Mihai Calin. Photo Memento Distribution.


Avec cette malice des réalisateurs de l’époque dictatoriale, ces situations absurdes qui dénigraient par l’humour la réalité terrible du pays, les personnages du film tentent toujours le compromis entre ce qu’on leur demande (vanter le régime) et leurs convictions profondes. Avec la dichotomie entre vie privée/vie publique. Qui culmine dans l’histoire de l’ouvrier dont le fils, dans sa lettre au père Noël, demande comme cadeau pour son père « la mort de Nico ». Ce qui signe plutôt l’arrêt de mort du père.

Dans une très belle construction orchestrale, les destins des personnages tissent une fresque assez large sur une trame de comédie grinçante. Les deux étudiants qui passent à l’Ouest tombent évidemment dans les bras de la police, la vieille dame loupe son suicide au gaz par coupure de son compteur, l’ouvrier qui détruit la boite où son fils a posté sa lettre au père Noël se trompe de boite. La nouvelle chanteuse pour le chant patriotique, dont les mutilations volontaires n’ont pas suffi à l’exempter, se contente d’un blabla innocent. Mais le boléro de Ravel est déjà en route pour un final du film incroyable où tout se rassemble pour condamner le leader. Apothéose de ces histoires entremêlées, mais aussi de l’Histoire du pays. Quelques images d’archives la rappellent.

Adrian Vancica joue le rôle de Gelu, l’ouvrier homme à tout faire. Photo Memento Distribution.


La caméra nerveuse du réalisateur n’empêche pas les longueurs. Bogdane Mureșanu met trop longtemps à installer ses personnages. Certaines scènes peu utiles auraient gagné à être coupées. Dommage. Il y a par ailleurs une belle énergie dans la caméra à l’épaule, très mobile, avec des images qui furètent dans les coins comme devaient le faire les agents de l’État. Mais la comédie fonctionne. Les liens entre personnages, qui apparaissent petit à petit, resserrent inexorablement la narration vers son point final. Et la reconstitution de l’époque, non seulement dans les studios télé mais aussi dans les appartements, est soignée et crédible. Autant le format 4/3, à l’image presque carrée, que les couleurs très marron/verdâtre, correspondent au cinéma des années 80.

Un premier film très réussi qui prolonge ce qu’on a appelé la nouvelle vague roumaine.


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Commentaires

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  1. La toute dernière image du film me questionne. Il s’agit de l’ouvrier dont le fils a envoyé sa lettre au père noël. Son visage en dit trop peu, mais aussi beaucoup sur le fond de sa pensée. C’est le personnage le plus infect, celui qui n’hésiterait pas à tabasser violemment son fils si son épouse ne s’interposait pas.
    Alors, dans l’idée du réalisateur, ne serait-ce pas ce genre de personnage qui dans la Roumanie d’aujourd’hui, rêve de porter l’extrême droite au pouvoir ?

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