[Samedi ciné]” Les enfants rouges “, le premier long-métrage du réalisateur franco-tunisien Lotfi Achour est sorti le mercredi 7 mai dernier. De multiples récompenses et distinctions ont déjà rendu hommage à son talent mais aussi à l’histoire réelle et marquante qu’il a choisi de raconter.
Par Asmaa Bouamama
Une histoire vraie
Le film raconte la réalité de deux adolescents, cousins et bergers, ensemble ils arpentent les montagnes de la région de Mghilla, près de la frontière algérienne. L’un a 14 ans, l’autre en a 16. Accompagnés de leurs troupeaux, ils marchent, rient, se baignent dans les rivières, s’émeuvent du paysage, jusqu’à ce que l’horreur les prenne par surprise pour les arracher à cette parenthèse d’insouciance juvénile. Ils sont attaqués par des djihadistes, l’un d’entre eux est assassiné sauvagement, l’autre sera épargné et aura la macabre tâche de rapporter la tête de son cousin Nizar, à leur famille. Nizar était alors soupçonné d’être un indicateur et de faire circuler des informations sur les terroristes. Cette histoire est un fait divers qui a marqué la Tunisie, le 15 novembre 2015, quelques jours après les attentats qui ont frappé Paris. ” Même si l’événement n’a touché que deux personnes, c’est un attentat qui a eu le même retentissement national en Tunisie que les attentats de Paris “, livre le réalisateur du film Lotfi Achour, avant de préciser “ c’était un crime qui touchait des enfants, dans des mises en scène particulièrement horribles que je ne développerai pas.“
Un film poignant doublé d’un regard poétique
Au sortant de la salle de cinéma, après avoir vu ” Les enfants rouges “, il est possible d’avoir la gorge serrée, le ventre noué, l’appétit avorté, tant le film raconte l’horreur et la violence qui interviennent dès les premières minutes de l’histoire. Mais ce qui frappe c’est peut-être de se demander comment une histoire aussi horrible, racontée avec tant de justesse et de réalisme, peut côtoyer autant de tendresse et de beauté. Le personnage de Ashraf, joué par Ali Helali, mène l’histoire d’une façon très intimiste et magistrale, le résultat est d’autant plus stupéfiant qu’il n’est pas un acteur professionnel car Lotfi Achour a choisi de travailler avec des acteurs peu expérimentés. ” Pour les enfants, j’avais envie, et même c’était presque une nécessité, de filmer des jeunes qui ont l’habitude de la montagne, Ali, il a un rapport organique à ces lieux, sa manière de s’asseoir, de ramasser une pierre, de marcher dans la montagne qu’il connaît, je voulais filmer cette aisance et ce réalisme. “
Ce qui est remarquable et qui signe le talent du réalisateur est la façon dont le film oscille entre un réalisme brut et des moments fictifs oniriques et fantasmés, à travers l’imagination et les pensées d’Ashraf. Le rythme du film, le son et la musicalité qui l’accompagne, les silences, les paysages, les dialogues souvent brefs et poétiques, les souvenirs que le mort convoquent dans les psychés de chaque personnage, tous ces éléments sont organisés et filmés avec une grande justesse très réaliste et à la fois une pudeur mystérieuse, qui donne une dimension onirique et poétique à cette terrible histoire. Par cette dimension fantasmatique et cette beauté de l’image et des dialogues brefs, le film peut rappeler Timbuktu d’Abderrahmane Sissako ou Mustang de Deniz Gamze Ergüven.
” Les enfants rouges ” porte aussi un cri et une révolte politique
Le réalisateur confie qu’il a voulu porter cette histoire avec un engagement politique et humaniste, et une volonté de rendre hommage à ces deux adolescents et à toutes les victimes du terrorisme, en Tunisie et ailleurs. “ C’est quand le frère de la victime a été assassiné à son tour, un an et demi après le meurtre de son frère Mabrouk Soltani. C’est là que j’ai vraiment voulu faire le film ” confie le réalisateur, ” Raconter cette histoire c’est aussi une façon de dire qu’on ne peut pas être dans le déni, quelqu’un à qui on a coupé la tête, et sa famille a mit la tête dans le frigo en attendant de retrouver le corps entier, c’est pas une histoire imaginaire dans un autre pays, ça s’est passé ici en 2015.” Le réalisateur ne cache pas son indignation envers les politiques qui n’ont pris aucune mesure à la hauteur du premier crime qui s’est produit en 2015. ” Le problème ce ne sont pas les jeunes, j’ai beaucoup d’espoir sur la jeunesse, toutes les jeunesses ont des rêves, je n’ai aucun doute sur les forces de la jeunesse et sur sa capacité à faire changer les choses, le problème que l’on a, et particulièrement en Tunisie, ce sont les vieux qui gouvernent, qui s’accrochent au pouvoir jusqu’à 90 ans. “ En plus d’un hommage à la mémoire des victimes, Lotfi Achour fait de ce film le porte voix d’une révolte et d’une indignation politique.
” Les enfants rouges ” est un film important, difficile à regarder comme l’histoire qu’il raconte et pourtant puissamment captivant. Le spectateur est plongé dans un calme et une lenteur propre à la temporalité si particulière du deuil. C’est un premier long-métrage d’une beauté cinématographique rare, d’une grande justesse, alliant grâce et pudeur. Le souvenir de la poésie du film l’emporte sur celui du sang et de l’horreur.
7 mai 2025 en salle 1h 40min Drame
De Lotfi Achour
Par Lotfi Achour, Natacha De Pontcharra
Avec Ali Helali, Yassine Samouni, Wided Dadebi
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