Depuis le 18 avril dernier, trois bâtiments désaffectés situés dans le périmètre des casernes Beaumont-Chauveau – une ancienne friche militaire en plein réaménagement – ont été occupés par un collectif d’associations et de citoyens. D’abord hébergement pour 80 personnes à la rue, mais aussi espace d’expérimentation sociale, culturelle et écologique, le lieu désormais baptisé Maison Internationale Populaire (MIP) fait couler beaucoup d’encre à Tours.
La Maison Internationale Populaire suscite de nombreuses réactions du côté des acteurs politiques tourangeaux. ©DR
Par Joséphine.
Le projet, à la fois refuge pour personnes à la rue et laboratoire d’alternatives sociales, dérange. Notamment de la part des droites plus ou moins extrêmes qui alimentent le fantasme d’un squat dirigé par des zadistes pro-immigration. Qu’en est-il vraiment ? Et qui sont donc les habitants de la MIP ? Portraits réalisés sur place il y a quelques jours.
Sana. « On est bien ici, j’ai pas le trac, parce que tous les mardis c’est pire que le Bac d’attendre la réponse du 115 »
Sana a 48 ans. Elle est née à Oran. Son père est à la retraite, avant, il était technicien. Sa mère, française, est avec elle à la MIP, tout comme ses trois filles, la grande, 16 ans, et les jumelles, 13 ans. Les adolescentes ne sont pas loin du grand barnum sous lequel se déroule l’interview. Elles alternent dérapages à vélo sur la terre, conversations à l’écart en rigolant la main devant la bouche et raids discrets pour chopper un ou deux cookies qui traînent sur la table à côté du sirop de fraise. « Elles sont timides, mais c’est des gentilles filles, elles travaillent bien à l’école, surtout les mathématiques ».
Sana a fait une licence de droit et elle est devenue cheffe d’un service au centre des impôts d’Oran. Mariée à un homme violent, elle est partie de chez elle avec sa mère et ses filles début 2024. Elle a divorcé et il y a huit mois, elle est partie en France pour refaire sa vie. Elle a demandé d’emblée sa naturalisation, vu que sa maman est française, mais il manquait des papiers dans le dossier. Refus. Désormais, elle attend les réponses pour son titre de séjour, mais ça prend du temps et elle n’a pas de ressources, ni la possibilité de travailler, vu qu’elle n’a pas régularisé sa situation. En attendant, elle a quand même fait une formation bureautique à l’AFPA et elle en commence une autre le 19 mai.
« On passe notre temps à attendre la réponse de la Préfecture »
Depuis 8 mois, les cinq femmes ont alterné entre semaines à l’hôtel social via le 115 – le service d’hébergement d’urgence –, et semaines dans des gymnases ouverts par la ville de Tours pour accueillir les familles non prises en charge par les services de l’État pourtant responsables de ces politiques publiques. Parfois, il a fallu s’arranger, par exemple quand une fonctionnaire lui a laissé un temps un logement de fonction inoccupé, prenant sur le papier un risque professionnel. Et puis, il y a eu aussi quelques nuits dehors, même si Sana a toujours réussi à mettre à l’abri sa mère et ses filles. Mais elle, elle a dormi à la gare. Une fois, en décembre, un monsieur lui a laissé les clefs de sa voiture pour qu’elle puisse être davantage en sécurité et plus au chaud.
« C’est bien ici à la MIP, c’est calme, les enfants ils peuvent jouer. Nous, on passe notre temps à attendre la réponse de la Préfecture. Il n’y a pas d’assistante sociale au collège et les assistantes sociales de la Croix-Rouge, il y a un délai de plusieurs mois (…) c’est injuste ».


Assma. « Ici, c’est tranquille, on s’amuse, on partage des moments, on fait des activités, on oublie un peu le malheur ».
Elle a 31 ans. Elle est née dans un village à côté de Mostaganem en Algérie. Son père est un ouvrier agricole retraité, sa mère élevait les enfants à la maison. Assma a plusieurs frères et sœurs, dont une en France. Elle est titulaire d’une licence en sciences humaines et communication. Elle est venue visiter sa sœur en 2015 avec un visa touristique. Assma rencontre alors celui qui deviendra son futur mari, un footballeur qui joue en Nationale, lui aussi Algérien, en situation régulière sur le territoire. Ils s’installent ensemble à Rennes et ils ont deux enfants, deux filles, elles aussi sont en situation régulière, nées en France. Les filles sont à la MIP, là, elles font du vélo un peu plus loin, dans la partie du terrain vague recouverte par la végétation, un peu plus tard, elles repassent montrer les tresses qu’une autre maman leur à faites.
Assma a initié des démarches pour obtenir un titre de séjour fin 2019. Avec le Covid, le durcissement des procédures et leur complexification, elle n’arrive pas à finaliser le dossier malgré l’envoi de nombreuses pièces et justificatifs. Les délais sont très longs, les rendez-vous presque impossibles à obtenir, surtout pendant les périodes de confinement. Sans Internet et avec pour seule assistante sociale une salariée de la Croix-Rouge qui la reçoit de temps en temps, le dossier n’avance pas. Fin 2024 son mari, blessé, n’a plus de revenus liés au foot. Il trouve alors des missions en intérim mais, locataires dans le parc privé, ils ne peuvent plus suivre le paiement des loyers. Ils sont mis dehors par le propriétaire le 1er avril dernier. Comme elle n’a pas de papiers, impossible de demander un HLM. Ils appellent le 115. Pas de place à Rennes. Le couple ne s’en sort pas et la situation cause des tensions. Ils ne s’entendent plus et ils décident de se séparer. Assma garde les filles, lui, il envoie le peu de CAF qu’il touche et parfois de l’argent. Il reste à Rennes pour trouver un boulot stable et un logement.
« Il faut prier pour que ça aille mieux »
Assma rejoint alors une amie à Tours. Mais l’appartement est trop petit et c’est très vite invivable. Assma contacte le 115 à Tours. Pas de place non plus. Il y a quelques jours, la Police Nationale la trouve dans la rue, pas loin de la place Jean Jaurès avec ses deux filles, de retour de Chambray où les petites sont scolarisées. Les policiers, « très gentils nous ont amené directement ici, à la MIP ». Pour l’instant Assma est allée à la Croix-Rouge pour avoir des places de bus pour pouvoir faire les aller-retour à Chambray. Elle ne veut pas changer ses filles d’école, « elles sont bien là-bas, elles ont des copines et elles travaillent bien, je ne vais pas encore les bouger ».
Elle a une petite chambre à la MIP avec ses deux filles, sans eau ni électricité, parfois avec une autre dame qui dort aussi dans la pièce. Elle a besoin d’une assistante sociale pour l’aider avec sa demande de titre de séjour et pour la procédure de divorce. Assma pourra alors travailler et faire une demande de logement. Elle ne demande pas d’aide à sa famille en Algérie ou à sa sœur, elle ne veut pas être un poids pour eux et elle veut être indépendante. « Il faut prier pour que ça aille mieux, c’est la vie, c’est dur, c’est comme ça ».
Kévin. « Ici à la MIP, il y a des gens qui vont à l’école, ils peuvent se poser et faire leurs devoirs, dans la rue ou dans un gymnase c’est pas possible »
Il a 16 ans. Il est né à Kinshasa, au Congo. Ses parents se sont séparés il y a longtemps et il a été élevé par ses grands-parents avec sa petite sœur et son petit frère. En 2021 – il a 12 ans –, peu de temps après son certificat d’études, son oncle maternel est venu le chercher avec un grand sac : la famille avait décidé de les envoyer tous les deux à l’étranger pour travailler et aider depuis l’étranger. Mais le voyage est cher, alors ça prend du temps et il faut trouver des petits boulots au fur et à mesure pour payer l’hébergement, la nourriture et le transport.
Kévin et son oncle ont remonté le fleuve Congo en bateau, vers le nord. Ils sont passés par la République Centrafricaine, le Tchad, le Cameroun, le Nigeria, le Bénin, le Niger, l’Algérie et enfin le Maroc, où ils sont arrivés début 2024. L’oncle a travaillé presque six mois dans des champs de tomates, un peu à l’est d’Agadir, là où poussent les légumes qu’on retrouve dans des barquettes en plastique à pas cher dans les hyper-marchés en hiver. Ils descendent alors vers le sud du Maroc une première fois pour prendre un zodiac sur la côté, près de Tan-Tan et de la frontière avec le Sahara occidental. Direction les Canaries, juste en face, un territoire espagnol appartenant à l’Union Européenne. Mais ça ne marche pas. Placé dans un zodiac différent de celui de son oncle, Kévin n’a plus de nouvelles de lui depuis cette époque et ne le retrouvera pas non plus à Tan-Tan. Kévin se débrouille, bosse aussi et quelques mois plus tard, il tente de nouveau le passage. Il a fallu attendre plusieurs jours cachés dans le désert, avec des réserves d’eau, de sardines et de jus de fruit. Mais cette fois c’est la bonne, et au bout de trois heures de traversée à écoper l’eau qui rentrait dans le canot de fortune, ils sont repérés par la garde côtière canarienne, le Salvamento Maritimo.
Kévin est débarqué en quarantaine sur l’île de Lanzarote en janvier 2025 puis transféré à Las Palmas, capitale de l’île de Grande Canarie. Il y reste un mois. Ensuite, direction Madrid, en avion, puis lui et ses camarades sont dispatchés dans toute l’Espagne. Pour lui, ce sera Mérida, en Estrémadure, pas loin du Portugal. Il y reste quelques semaines puis décide de partir, ne parlant pas l’espagnol mais le français, il se dit que ce sera plus simple de filer vers le nord. La Croix-Rouge lui file un billet de bus et il arrive à l’antenne de l’asso à Irun, non loin de la frontière française. On leur conseille de passer en France à pieds, ce qu’il fait avec deux amis. Une fois à Hendaye, ils prennent un Flixbus jusqu’à Bayonne et sont pris en charge de nouveau par la Croix-Rouge, trois jours. Monté dans un nouveau bus, Kevin arrive à Tours. Il se présente immédiatement à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) à Champ-Girault. Il est envoyé une semaine au foyer de Sorigny dans l’attente d’un créneau pour l’évaluation administrative de sa situation.
A l’issue de cette évaluation de deux heures, il n’est pas reconnu comme mineur, son extrait de naissance n’étant pas considéré comme digne de confiance, pas plus que son récit de voyage, incohérent selon l’ASE. Kévin se retrouve à la rue, avec la possibilité de faire un recours devant un juge, mais il faudra qu’il se débrouille pour se loger et trouver un avocat en attendant. Il se cache à la gare par peur de se faire arrêter. On lui indique qu’il ferait bien d’aller à la Table de Jeanne-Marie pour manger, déjà, et pour avoir des infos. Une fois là-bas, quartier Febvotte, il est orienté vers Utopia56, une asso spécialisée dans l’aide aux mineurs non-accompagnés, mais il n’y a plus de place dans les lieux gérés par les bénévoles. On est début avril, c’est la fin de la trêve hivernale et des collectifs locaux organisent des occupations de bâtiments inoccupés pour mettre à l’abri les gens qui se retrouvent sans solutions et qui ne peuvent même pas joindre le 115, totalement saturé.
« Ici, on est libre … on s’investit dans la vie du lieu »
Pris dans ce contexte par hasard, Kévin participe à l’occupation du Dojo du palais des Sports le 2 avril dernier puis il est ensuite basculé au gymnase Racault que la ville de Tours a mis à disposition. Mis au courant du projet d’occupation aux casernes Beaumont-Chauveau, il est là lors de l’installation des collectifs et il y dort depuis, travaillant à son recours juridique, même si cela prend du temps.
« Ils nous jettent à la rue, mais ils attendent quoi ? On est l’avenir pour la France, on va pas partir. Et puis, on va repartir comment en fait ? On est comme les enfants de tout le monde, exactement comme eux (…) Raconter ton histoire à l’ASE en deux heures, c’est pas possible. C’est injuste. Il vous jugent à votre apparence. Moi ils m’ont dit que je m’asseyais pas comme un enfant. Après ça, je suis resté traumatisé, j’étais hébété plusieurs heures à la gare (…) On devient quoi ? On a dormi dans des tentes mais eux les gens de l’ASE ils dorment au chaud. On est tous les mêmes (…) Ici à la MIP tu redeviens normal. En gymnase on est dehors de 8h à 15h, on tourne on tourne, on s’ennuie. Ici on est libre, on réfléchit à d’autres choses, on s’investit dans la vie du lieu. C’est une bonne initiative. Nous on veut travailler, on n’est pas des paresseux ».
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Quelques jours après le début de l’occupation, la Société d’Équipement de la Touraine (SET), propriétaire des lieux, a initié une procédure d’expulsion. Mais pour l’instant, cette expulsion est en suspens.
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