« Génocide », le mot de trop

En marge de l’inauguration de la cité scolaire Robert-Badinter à Blois, un élève a prononcé le mot « génocide » pour évoquer les massacres à Gaza lors d’un cours en classe, en présence d’Élisabeth Badinter. Un terme qui a choqué l’épouse de l’ancien ministre, jetant un froid dans la salle.

Elisabeth Badinter assiste à un cours d'anglais lors de l'inauguration de la cité scolaire de Blois
Élisabeth Badinter a assisté à un cours en anglais du baccalauréat Français international (BFI). Crédit photo Magcentre.


Par Mael Petit.


Il y a des silences qui en disent long. Celui qui a glacé la salle de classe du lycée Robert-Badinter à Blois, ce mardi 13 mai 2025, en fait partie. Un élève, dans le cadre d’un cours d’anglais, reprend une phrase célèbre d’Elie Wiesel. « Il ne doit jamais y avoir un moment où l’on ne proteste pas », dit-il. Et lui, proteste, en anglais. Dans un exercice de débat, il évoque Gaza en y associant le mot génocide. C’est là que tout explose. Ou plutôt, tout se fige.

Élisabeth Badinter réagit vivement. Le mot est trop fort, trop chargé, qui plus est accolé à une citation d’un survivant de l’Holocauste. Dans un établissement qui porte désormais le nom d’un homme ayant voué sa vie à la lutte contre la peine de mort, à la justice, aux droits humains, ce mot est jugé insupportable. « On le laisse dire ? » s’indigne-t-elle. La professeure tente d’expliquer, de replacer le propos dans le contexte pédagogique. Mais rien n’y fait. L’élève se tait, sous le poids de son accusatrice. Le malaise est total.

Mais au fond, que s’est-il passé ?

Un jeune a exprimé une opinion. Il n’a pas fait l’apologie du Hamas. Il n’a pas nié la Shoah. Il a évoqué, avec ses mots et son émotion, sa révolte face à ce que chacun voit comme un massacre de masse, comme un crime contre l’humanité. Et ce mot « génocide », qu’il emploie par mimétisme ou de manière réfléchie, déclenche une levée de boucliers. Car oui, dans un lycée, évoquer Gaza comme un génocide en cours, c’est politiquement sensible. C’est vu, par certains, comme un raccourci, une provocation, un slogan militant. Cela met mal à l’aise ceux qui craignent les amalgames, les accusations d’antisémitisme, l’instrumentalisation d’un conflit complexe.

Mais faut-il pour autant étouffer la parole d’un élève ? Faut-il éteindre le débat, là où justement il devrait avoir lieu ? Là où l’on enseigne la pensée critique, l’analyse, l’échange ? Ce jeune n’a pas lancé un mot d’ordre. Il s’est essayé à un exercice pédagogique qui encourageait l’expression autour d’enjeux contemporains et géopolitiques. Il a osé mettre des mots sur une horreur qu’il voit surement à la télé et sur les réseaux sociaux au quotidien, qu’il vit peut-être comme une injustice.

Et aujourd’hui ce lycée ne s’appelle pas Badinter par hasard. Il porte le nom d’un homme qui a défendu les causes les plus impopulaires, qui a fait de la parole libre et du refus de l’arbitraire son étendard. Quelle ironie que ce soit là, dans ce lieu chargé de valeurs humanistes, que la parole d’un élève soit muselée. Bien sûr que le mot génocide fait peur. Il convoque les fantômes du passé, il heurte, il accuse. Mais en aucun cas doit-il être perçu comme une inversion insupportable de l’Histoire ou simplement une négation du passé. Mais plutôt comme une tentative de lecture au présent. Ce mot n’est pas interdit, n’est pas blasphématoire. Il peut être un sujet de débat. Parait même que plusieurs ONG ou encore l’ONU affirment qu’il existe des « motifs raisonnables » de croire qu’Israël a commis plusieurs « actes de génocide » à Gaza. Et à entendre, depuis le début de l’embrasement, certains officiels israéliens aux propos incitatifs à l’élimination collective… Les cases se cochent une à une. Le bingo du pire approche. Encore combien avant qu’on ose le dire ?

Alors si un élève ne peut même plus l’employer dans un cadre scolaire, à quoi bon prétendre former des citoyens éclairés et responsables ? Le jeune garçon est reparti à l’internat. Élisabeth Badinter a quitté le lycée. Et le débat, lui, n’a jamais eu lieu. C’est cela, le véritable choc. Pas le mot prononcé, mais le silence qui a suivi.

Un mot qui a une définition internationale et juridique

Depuis 1948, la Convention des Nations unies sur le génocide encadre son usage : elle parle d’actes commis avec « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Loin d’être un simple adjectif choc ou un cri de colère, c’est bien parce qu’il est lourd de sens qu’il mérite d’être discuté. Surtout dans une salle de classe.


Plus d’infos autrement : Robert Badinter, un modèle pour les jeunes

A lire aussi: Elisabeth Badinter et “l’effet Voise”

Commentaires

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  1. Tres belle plaidoirie pour défendre cet élève et son propos son ressenti, nous sommes des milliers à penser comme lui sans être antisemite,

  2. Bonjour, je rejoins cet article et les commentaires qui l’accompagnent. Quel mépris pour ce jeune homme, dans le cadre d’un lieu d’enseignement et de dialogue. J’ose penser que Robert Rabinter s’y serait pris autrement.

  3. Le mot génocide-mot américain a été inventé en 1944 pour qualifier la volonté politique des nazis de tuer les humains de race juive.
    Il est formé de gène du grec genos : race, naissance et du suffixe cide signifiant la volonté de tuer la partie radicale du mot .
    Le mot s’emploie pour caractériser la volonté de détruire méthodiquement un groupe ethnique et par extension son extermination.
    (Source: Dictionnaire historique de la langue française)
    Ce mot peut s’employer aussi pour ce que commence à pratiquer le gouvernement américain vis à vis de certaines sciences et certains scientifiques et parler donc de génocide scientifique.

  4. J’approuve entièrement cet article de Maël Petit et je m’étonne de la réaction d’ Elisabeth Badinter. Si ce mot la gênait, elle aurait pu, elle aurait dû engager avec lui une discussion, un débat, oui un débat sur l’emploi du mot par ce jeune homme, qui a été injustement rabaissé, infantilisé. Dommage. je suis déçu….

  5. Il ne suffit pas d’avoir été l’épouse d’un grand homme pour être pour l’éternité digne de sa pensée, de son humanité et de ses valeurs.
    Quel que soit le motif de l’intervention de l’élève, les sachants qui étaient là avaient à ne pas se contenter de regarder leurs pieds par respect pour la grande Dame. Une belle intervention pédagogique ratée ! Et plus…

  6. Merci beaucoup à Maël Petit pour ces précisions sur “l’incident” et pour son analyse que je trouve très pertinente et bienvenue. L’élève concerné est parti en internat … avec quelles pensées en tête et quelle image d’adultes qui ferment les yeux sur des réalités effrayantes en cours parce qu’un terme ne leur convient pas ? Une pensée aussi pour la professeure mise à mal par l’ interrogation scandalisée de Madame Badinter…

  7. J ai toujours eu beaucoup de respect pour Elisaeth, sa personne, ses ouvrages, ses idées. Mais cet épisode fâcheux me trouble.
    Comment a t elle pu adopter une attitude aussi hautaine et méprisante vis-à-vis d un élève ainsi placé en état d’infériorité argumentative, traité comme un être à museler?
    Bien sûr que tout ce qui est proféré par un adolescent n est pas, ipso facto, respectable et admissible. Mais c était justement l occasion ici, dans un établissement scolaire de discuter le bien fondé ou la pertinence de son propos. En faisant appel à la raison et non en le réduisant au silence.
    Ces paroles intimidantes d Élisabeth Badinter traduisent elles une sûreté impavide de ses propres convictions ou au contraire, l ombre du début du sentiment qu’ en l espèce elle pourrait être consciente de ne pas a voir totalement raison et commencer à être , quelque
    part, ébranlée dans ses certitudes?

  8. Je suis désolée, je ne suis pas l’avis de cet article. Face à Mme Badinter l’adolescent aurait dû y réfléchir à plusieurs fois avant d’employer le mot génocide..L’indignation de Mme Badinter me semble tout à fait légitime.

  9. A Daniele et à madame Badinter,
    le mémorial de la SHOAH écrit : “on entend par genocide la destruction totale ou partielle d’un groupe ethnique, racial ou religieux”.
    https://www.memorialdelashoah.org
    Le choix du mot laisse entendre que l’élève à la tête bien faite

  10. “La vieillesse est un naufrage” disait une certaine Françoise Giroud.
    Elisabeth Badinter tient de plus en plus de propos réactionnaires (viol, laïcité voile…) lors d’invitations sur des plateaux tv dont on se passerait bien.
    A l’en croire le mot génocide serait réservé aux victimes juives de la 2e guerre mondiale. Un “droit de propriété” en quelque sorte. Pas touche. Pour les autres cas, ce serait nettoyage ou balayage ethnique : on ne ” laisse pas dire” n’importe quoi! Et on mouche le gamin qui ose s’exprimer…
    Pourtant, n’est ce pas le rôle de l’école d’aider à comprendre? De permettre qu’un débat s’ouvre sur des terrains si sensibles? De faire qu’il y ait “partage” plutôt que “clivage”?
    Raté.

  11. Réflexion sur la situation au Moyen-Orient : un appel à la lucidité

    Il est regrettable de constater qu’une partie du débat public sur le conflit israélo-palestinien est souvent marquée par des propos excessifs, des raccourcis idéologiques et une absence de mise en contexte.

    Il convient de rappeler que si l’État d’Israël mène aujourd’hui des opérations militaires, c’est en réponse à des attaques répétées, notamment par le Hamas, une organisation reconnue comme terroriste par l’Union européenne, les États-Unis et d’autres pays. Ce groupe lance régulièrement des roquettes depuis Gaza, tout en se retranchant derrière des infrastructures civiles, ce qui met délibérément en danger sa propre population.

    Des milliers de civils israéliens ont été victimes d’attaques, parfois dans des conditions d’une violence extrême. Ces actes barbares ne peuvent être ignorés ni relativisés. Parler de « génocide » dans ce contexte est une accusation grave qui ne reflète ni la réalité démographique – la population palestinienne ayant continué de croître ces dernières années – ni l’intention stratégique de l’État israélien, dont les actions visent des cibles militaires dans un contexte extrêmement complexe.

    Par ailleurs, les réactions sélectives de la communauté internationale interrogent. Où est l’indignation face aux centaines de milliers de morts dans des conflits intra-musulmans, comme en Syrie, au Soudan, ou encore au Yémen ? Pourquoi ces drames, pourtant d’une ampleur tragique, suscitent-ils si peu d’attention comparativement ?

    Il est également préoccupant de voir certains pays, dont la France, être traversés par des courants idéologiques qui diabolisent systématiquement certaines communautés tout en banalisant la violence d’autres. L’Histoire nous enseigne qu’une société qui condamne les victimes pour s’être défendues finit souvent par devenir complice de leur persécution.

    Face à la complexité de cette situation, il est essentiel d’éviter les jugements hâtifs, de se méfier de la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux, et de privilégier une analyse fondée sur les faits, le droit international et le respect de la dignité humaine de tous les peuples impliqués.

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