Plongée au cœur de la lutte en faveur de l’IVG, au CDN d’Orléans

Pour une 1ʳᵉ création au CDN qu’elle dirige depuis huit mois, Émilie Rousset a frappé fort avec « Reconstitution : le procès de Bobigny », objet théâtral certes créé en 2019, mais qui continue à parcourir la France. Le public a répondu présent et a découvert un nouvel univers théâtral, construit à partir d’archives, de témoignages et transmis par une équipe d’artistes bouleversants. Magcentre a rencontré Émilie Rousset.



Par Bernard Thinat.


Sur le plateau de la salle Barrault, beaucoup plus vaste qu’il n’apparaît de la salle, une douzaine de « postes » attendent le public, chacun composé de 16 chaises en demi-cercle, un casque-écouteurs sur chacune. S’assoit face au public, un artiste qui, durant quinze minutes, transmet un témoignage, se glissant dans la peau du témoin avec une telle facilité, qu’on penserait que le témoin lui-même s’adresse au public. C’est sidérant !

Photo Philippe Lebruman


À l’issue du quart d’heure, chacun va, un peu au hasard, sur un autre poste entendre un autre témoignage dit par un autre artiste, ou le même car ceux-ci sont interchangeables. Tout fonctionne harmonieusement, le spectacle est parfaitement huilé, les spectateurs devenus participants circulent d’un poste à l’autre dans la plus parfaite harmonie.

Apparaissent alors aux yeux et aux oreilles du public, deux témoins du procès de 1972 (Claude Servan-Schreiber et Françoise Fabian), une activiste féministe polonaise, une militante du planning familial, une philosophe, une réalisatrice de cinéma, une professeure de droit, un gynécologue, une fondatrice du MLF, une militante réunionnaise, un historien : toutes et tous avec énormément d’empathie, de douceur dans la voix, d’intelligence, et même un militant anti-IVG-PMA dont le propos apparut hors du temps.

Salve d’applaudissements au final après deux heures trente d’écoute attentive d’un public où la jeunesse féminine était particulièrement nombreuse, faisant appel en chacun d’entre nous, à la réflexion, à la pensée collective. On en ressort heureux !

***

Rencontre avec Émilie Rousset, metteuse en scène et Directrice du CDN d’Orléans

Émilie Rousset – Photo Martin Argyroglo


Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au procès de Bobigny ?

Maya Boquet avec qui j’avais déjà créé une pièce, a trouvé cette archive, « le Procès de Bobigny de 1972 » de l’association « Choisir » de Gisèle Halimi, qu’elle m’a donnée à lire. C’est une archive passionnante, vibrante, car c’est un acte militant d’avoir publié ces textes dont la publication à l’époque était interdite, comme d’ailleurs le manifeste des 343. C’était une désobéissance civile. Notre démarche, ensuite, a été de déplier cette archive au présent, afin de savoir comment on vit cette histoire, ce qu’on en comprend, d’aller à la rencontre de témoins historiques ou qui n’étaient pas nés à l’époque du procès, mais qui s’intéressent à ces questions juridiques, philosophiques.

Vous avez essayé de rencontrer Gisèle Halimi ou Marie-Claire Chevalier, aujourd’hui toutes deux décédées ?

Elles étaient déjà très malades, mais en réalité, j’aime bien que mes pièces soient écrites dans une sorte de périphérie du sujet. Au centre, il y a l’imaginaire des spectateurs et des spectatrices, celui du procès, celui de Gisèle ou de Marie-Claire, celui des années 70, et je préfère apporter à cet imaginaire, des choses périphériques, que le cœur appartienne totalement au public et que le théâtre n’en donne pas forcément une représentation.
 

Gisème Halimi – photo Olivier Tétard – wikipédia


Vous avez rencontré des témoins d’hier et d’aujourd’hui. Vous retranscrivez leurs paroles ou vous faites un travail de réécriture ?

C’est effectivement un énorme travail de réécriture. J’aime quand l’art parvient à avoir une ligne claire, quand le geste est invisible. Mais toutes les formes artistiques qui paraissent simples demandent énormément de travail parce que la simplicité est extrêmement difficile à atteindre. Ces textes sont issus d’entretiens réels, nous n’inventons pas les mots, mais il y a un travail de montage et d’édition énorme. Les entretiens ont duré entre une heure et trois heures et on en tire un texte de quinze minutes. C’est une dramaturgie, les textes se répondent les uns aux autres. On ne veut pas déformer la pensée de la personne interviewée, on choisit 3 ou 4 idées en fonction des textes qu’on a choisis à côté. Parfois, sur un même entretien, on a créé trois montages différents, et celui qu’on a choisi vient éclairer, complexifier les autres témoignages. Et puis, à l’intérieur de ces témoignages, il y a la pensée et une sorte de théâtralité dans l’adresse, dans le rebond, la bifurcation car c’est un travail d’interprète que nous faisons. Il y a de l’inconscient qui s’échappe de la parole, cette poésie émerge…

Enfin, il y a ce militant anti-IVG, comment s’est passée la rencontre ?

C’est la parole du procureur, tout seul à défendre la loi d’interdiction de l’IVG, lors du procès au milieu de cette vague féministe. Ce militant était tout à fait d’accord pour nous rencontrer, même si l’interview a été difficile (rires). Son discours n’est pas violent, c’est comme le discours de l’extrême droite d’aujourd’hui, c’est un glissement sémantique, il part d’idées rassembleuses, et parvient à des conclusions médicalement fausses et violentes.

Parlons des artistes qui retransmettent les témoignages, ce sont des comédiens professionnels ?

Absolument. Cet exercice demande une grande technicité du comédien. Ils sont 15 en tout et couvrent chacun quatre témoignages, les enchaînent, parlent chacun pendant environ deux heures de monologue. Il y a une grande interaction avec le public, au vu de la proximité, c’est à chaque fois une expérience très différente pour eux. Petit à petit, il y a une appropriation du sujet, du dispositif, une réflexion collective qui se met en place. Ils ont une oreillette avec la vraie voix de la personne interviewée, sorte de tuteur qui permet de garder le flux, l’oralité, c’est une parole pensante et une pensée parlante.

Le 9 juillet prochain, à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, aura lieu la 1ère du spectacle « Affaires familiales », votre prochaine création. Vous pouvez en dire quelques mots ?

C’est une pièce scénique avec un dispositif bifrontal, à partir d’un montage de témoignages autour de la thématique, d’avocats et de justiciables en France et en Europe, avec sept interprètes qui s’emparent de ces archives. La pièce sera programmée au CDN d’Orléans en décembre après le théâtre de la Bastille à l’automne.

Prochaines dates pour le « Procès de Bobigny » :

Au CDN d’Orléans, du 13 au 17 mai 2025
Théâtre Nat. de Bordeaux, du 25 au 28 novembre 2025
Atelier de Vernouillet (Dreux), le 22 janvier 2026
Théâtre de Corbeil-Essonnes, le 28 janvier 2026
La Grange, Lausanne, Les 5 et 6 février 2026
Bonlieu, Annecy, du 27 février au 1er mars 2026


Plus d’infos autrement :

Clin d’œil au Festival d’Avignon 2024 : « Gisèle Halimi, une farouche liberté »

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