Montargis-Mormant, tensions autour d’un meeting d’extrême droite

Près de Montargis, Mormant-sur-Vernisson est arrivé en tête des votes RN aux législatives 2024 avec 89,7 % des voix. Ce village se prépare à accueillir « la fête de la Victoire », organisée par les Patriotes pour l’Europe – groupe présidé par Jordan Bardella – afin de célébrer la vague d’extrême droite aux Européennes 2024. Viktor Orbán et Marine Le Pen sont invités. Magcentre est allé à la rencontre d’élus locaux pour recueillir leurs réactions.

Par Izabel Tognarelli.

Que n’aurait-on donné pour être petite souris et entendre cette conversation ! Benoît Digeon, maire (LR) de Montargis, a personnellement appelé le propriétaire du terrain prêté aux Patriotes pour lui dire sa façon de penser. L’échange a dû être houleux : Benoît Digeon n’a jamais caché son hostilité aux idées du RN.

Benoît Digeon vent debout

Interrogé, Benoît Digeon livre une version mesurée : « J’ai téléphoné au propriétaire du terrain, Christian Charpentier, ancien maire de Mormant, pour lui faire part de ma surprise. Je n’apprécie pas du tout qu’il prête son terrain à une organisation anti-européenne. »

L’ancien maire de Mormant (2014 – 2020), par ailleurs agriculteur, s’est justifié en arguant que le blé ukrainien allait inonder la France, argument qui n’a pas convaincu le maire de Montargis. « C’est une honte, s’insurge celui-ci. Nous sommes en Europe, nous vivons de l’Europe, sans elle nous ne sommes rien. Elle protège ses populations, notamment par l’économie et la justice, avec la démocratie pour trait commun. Ces Patriotes sont opposés à la démocratie, opposés à la liberté, y compris la liberté de penser. Quand on voit comment certains s’attaquent à la culture : c’est tout à fait scandaleux. Ces gens-là emmènent la population dans des illusions vaines. » Et de préciser : « Je ne m’en prends pas aux électeurs du RN, mais à leurs élus. Leur présence n’est pas une bonne chose pour notre territoire. »

De son côté, la gauche organise une contre-manifestation à Montargis. « Moi, ma manifestation, c’est d’avoir téléphoné à Christian Charpentier pour lui dire ce que j’avais à lui dire », conclut Benoît Digeon.

Jean-Pierre Door, ex-député-maire (LR) de Montargis, choqué et déçu

« Chaque mouvement politique a le droit d’organiser des réunions, mais je suis profondément choqué qu’une manifestation européenne d’extrême droite ait lieu dans une circonscription que j’ai dirigée pendant 20 ans. Cette terre a toujours été de droite républicaine. Il y a 25 ans, nous avions réussi à en écarter le FN », rappelle-t-il, évoquant l’époque de Paul Malaguti et de tous ceux qui grenouillaient dans son sinistre sillage. « Et voilà qu’ils reviennent », se désole-t-il.

Jean-Pierre Door se dit personnellement heurté par la tenue d’un tel événement dans une commune qu’il connaît bien, et une agglomération qu’il a présidée durant deux décennies. « Je suis choqué de voir que nous allons avoir une grande manifestation de niveau européen qui ne correspond pas à mes valeurs personnelles. »

Que pense-t-il de l’argument du déferlement du blé ukrainien ? « C’est hors sujet. La France est exportatrice grâce à la PAC ». Et d’ajouter : « Il faut défendre l’Ukraine face à l’agression russe. Et ne pas oublier que le parti de Mme Le Pen est pro-russe. »

Il conclut : « Cette manifestation d’extrême droite va entraîner la convergence de nombreuses personnes par le train et par la route. Cela va engager une mobilisation policière importante, donc des dépenses publiques. »

L’inquiétude de Vincent Desrumeaux, maire de Mormant

Ce meeting politique se tient sur un terrain privé de la commune : « En tant que maire, je n’ai aucun pouvoir dessus. Mon rôle consistera à faire tout ce qui est de mon possible pour que l’organisation autour se passe bien, notamment au niveau des flux de personnes ». Vincent Desrumeaux insiste : il n’est pas politisé, la commune de Mormant-sur-Vernisson n’est pas impliquée. « Ce qui m’inquiète, ce sont les flux de personnes : 5 000 sont attendues. Le risque de débordement existe, comme ce serait le cas avec LFI. Quelle que soit l’affiliation politique, la problématique serait la même, mais le RN et LFI sont les deux partis qui cristallisent le plus les tensions aujourd’hui ». Il se garde aussi de se positionner de quelque côté que ce soit, afin de ne pas alimenter la polémique : « Mon objectif est clair : éviter cela, et faire en sorte que tout se déroule correctement, sur le site, la voie publique et la commune. Cette manifestation est en règle du point de vue des services de l’État. On se doit de rester impartial et de garantir que tout se passe bien ».

Quelle que soit l’affiliation politique, la problématique serait la même ? Est-ce bien sûr ? Y aurait-il autant de battage médiatique si le MoDem organisait un tel événement dans un village voisin ? Même à 5 000. Allez, chiche !

« On vote pour des personnes

plus que pour des partis politiques »

Aux dernières législatives, Mormant-sur-Vernisson a donné son meilleur score à Thomas Ménagé. L’actuel maire insiste : c’est l’homme qui a été soutenu, pas forcément le RN. Il explique ce résultat par un contexte local : une population de classe moyenne, souvent propriétaire, peu soutenue par les aides sociales, mais qui contribue beaucoup. Un sentiment de ras-le-bol domine, nourri par l’impression de toujours payer « pour les autres ». Ici, les gens ont souvent du mal à boucler les fins de mois et entretiennent leurs deux voitures, car en zone rurale, il n’y a pas moyen de faire autrement. L’insécurité n’est pas un problème majeur. Pour le maire, ce vote est aussi lié aux personnalités en lice : Thomas Ménagé face à Bruno Nottin. D’autres candidats auraient pu donner d’autres résultats : « Cette sortie des urnes, je ne la vois pas comme un vote pour ou contre un parti, mais plutôt pour ou contre une personne ». Il ne faudrait donc pas forcément y voir un vote par adhésion idéologique forte.

Plus d’infos autrement :

Le 9 juin, le RN et l’extrême droite européenne font la fête à Montargis