Dans un contexte de plus en plus chahuté, les représentants des trois grandes religions – catholique, juive, musulmane – ont décidé de se confronter aux valeurs de la République et de la laïcité. Une rencontre salutaire mais peut-être trop positive de la situation.
Un débat réussi pour la Licra Loiret. Photo Magcentre
Par Jean-Jacques Talpin.
« Le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas » : quand il lançait cette prophétie en 1972, André Malraux n’imaginait pas qu’elle serait tragiquement vraie. Les massacres du 7 octobre, les attentats de Charlie, Samuel Paty et Dominique Bernard, les crimes de Gaza, l’agression du rabbin d’Orléans, l’incendie de la mosquée de Jargeau, tout cela pourrait conduire à s’égosiller : « Religion, que de crimes on commet en ton nom ! ». C’est pour apaiser les tensions que la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) du Loiret organisait ce jeudi 22 mai une conférence bienvenue sur « les religions du Livre et la République ». Une manière de confronter les trois grands monothéismes aux mêmes racines avec les valeurs parfois décriées de notre République et celles, souvent mal comprises voire dévoyées de la laïcité dont on fête cette année le 120e anniversaire de la loi de 1905.
« Trésor républicain »
Trois représentants de ces croyances donc pour clamer unanimement leur adhésion à la République et à la laïcité : Mgr Jacques Blaquart évêque d’Orléans, Mohamed Azaroual président de l’association Annour qui gère la mosquée de La Source, et l’enseignant juif Simon Fleury-Schindler. Gilles Kounowski représentait quant à lui le Laboratoire Loiret Laïcité, véritable vigie de la loi de 1905. Joëlle Gellert, présidente de la Licra et Jean-Pierre Delpuech, son secrétaire général, ont d’ailleurs posé le débat au regard de cette laïcité considérée comme « un trésor républicain, un espace unique et une condition de la liberté des religions ». Si le point d’entrée de ce débat portait sur les grandes fêtes religieuses et leurs similitudes (Pâques pour les chrétiens, Ramadan pour les musulmans, Pessah pour les Juifs), la véritable confrontation aurait pu s’évaluer sur le respect des religions envers les grands principes fondateurs de la République et de la laïcité. Et donc de la loi de 1905 qui accorde une totale liberté de conscience, d’exercer ses cultes, le droit de croire ou de ne pas croire.
Salle comble pour ce débat unique. Photo Magcentre
« La laïcité est une chance pour les musulmans ! »
Certes, les catholiques ont longtemps fait de la résistance, et même plus, avant d’accepter ces lois, au contraire de la religion juive dont l’une des prières, récitée jeudi soir, rend hommage à la France et à la République. L’histoire est plus compliquée avec l’Islam. D’abord parce que du temps de la colonisation, une bonne partie des « sujets » étaient musulmans. Des lois ultérieures comme les signes ostentatoires à l’école en 2004 ou l’interdiction du voile intégral en 2010 ont pu créer des troubles dans cette communauté.
Mais Mohamed Azaroual, qui s’interroge sur « comment les musulmans sont considérés » en France, reconnaît que la laïcité, fruit du « génie français (…), est une chance pour la France et les musulmans », car elle permet le vivre-ensemble. Même si cette laïcité est souvent mal comprise, voire détournée ou dévoyée par des extrémistes, Mohamed Azaroual avoue : « Nous n’avons aucun problème avec la laïcité ».
Enseigner les religions à l’école ?
Les trois représentants des religions sont donc sur la même longueur d’ondes avec une laïcité comme condition indispensable au vivre ensemble. Sauf que, si l’on excepte Jacques Blaquart, les débatteurs juifs et musulmans ne représentaient sans doute pas toute leur communauté. L’un est en effet considéré comme « libéral », le second comme « modéré ». Des qualificatifs qui évitent donc d’entrer en confrontation directe. Le débat s’est aussi orienté vers le nécessaire enseignement du fait religieux dans l’enseignement. Même s’il existe déjà de façon résiduelle, beaucoup demandent un renforcement de cet enseignement.
Jacques Blaquart, Joëlle Gellert, Mohamed Azaroual, Gilles Kounowski, Jean-Pierre Delpuech, Simon Fleury-Schindler. Photo Magcentre
Ne croire à aucune religion ?
Mais à l’heure où de nombreux professeurs sont obligés de s’autocensurer et de couper une partie de leur enseignement (notamment celui sur la Shoah), comment imaginer un tel enseignement hors de tout prosélytisme, danger mis en avant par l’ancien sénateur Jean-Pierre Sueur ? Les trois représentants des religions ont donc fait leur job : montrer qu’elles pouvaient cohabiter, dialoguer au service du bien commun et du vivre-ensemble. Et donc en promouvant une vision optimiste des choses. Dommage cependant qu’une version de la laïcité ait été oubliée : celle de ne croire à aucune religion…
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