Quatre nouvellistes mis en accusation au tribunal d’Orléans, du grand théâtre ! #1

Dans le cadre du Festival Litt’oral et du 30ème anniversaire de l’association « Tu connais la Nouvelle », Gérard Audax a eu l’idée lumineuse de convoquer dans la salle Jean-Zay utilisée par la Cour d’Appel du Tribunal d’Orléans, quatre auteurs et autrices de nouvelles littéraires, et de les livrer, non pas à la vindicte populaire, mais aux affres du système judicaire.

Par Bernard Thinat

Celles et ceux qu’on rencontre habituellement dans les salles d’audience, se sont prêtés au jeu du théâtre, quasiment d’improvisation. On croisait ainsi le Procureur Général de la Cour d’Appel d’Orléans et le Président du Tribunal judiciaire, tous deux devenus avocats l’espace d’une plaidoirie, une magistrate du siège et un vice-procureur chargés de requérir, et plusieurs avocats, les unes devenant procureures, d’autres assurant la défense des accusés. Quant à la Cour, elle était présidée par Gérard Audax en personne, assisté par deux assesseur-euh, (on a vraiment insisté sur le féminin), Aurélie Audax et Sophie Collin. Enfin, s’étaient joints aux procès, quatre témoins, et non des moindres : Marc Gaudet, Président du Conseil départemental du Loiret, Stéphanie Rist, députée du Loiret, Véronique Bury-Dagot, Adjointe chargée de la Culture à la Mairie de Saint Jean de Braye, et François Bonneau, Président de la Région Centre Val-de-Loire, les trois collectivités soutenant l’association « Tu connais la nouvelle ».

Les avocats de la défense et les accusés – Photo B.T.

Annie Ferret, « Dealeuse de monstre »

Autrice de la nouvelle « un petit Miracle », la voilà accusée de commencer l’histoire par la fin et de poursuivre dans le désordre, de prendre le lecteur en otage, enfin de décrire un personnage principal minable plein de lâcheté. Et Annie Ferret de répondre que son héros minable, médiocre, peureux, est comme elle, comme chacun, et s’adressant à la cour, comme vous, (rires dans la salle), parce qu’elle le trouve attachant, sensible, lui qui fait tout pour protéger sa famille. Maniant l’humour, l’autrice termine en déclarant qu’en tant que lectrice, elle aime qu’on la brutalise, qu’on lui fiche la pétoche, qu’on la prenne de force… Magnifique !

Marc Gaudet, invité à s’avancer à la barre, évoque alors Jean-Pierre Rives, ancien joueur de rugby, et son panache. Parlant de budget, de financement de projets année après année, il évoque un pont avec ses deux piliers (mais à quoi peut-il faire allusion ?), déclenchant encore les rires, et terminant en citant « Tu connais la nouvelle » comme une référence pour les collégiens du Loiret.

Au tour de Marine Cochard chargée de requérir contre un roman ! Emportée comme un tourbillon à sa lecture, elle avoue l’avoir terminé émotionnellement fatiguée, considérant plusieurs infractions tels l’usage abusif de l’émotion, ainsi qu’un trouble à l’ordre du réel. Et de requérir pour l’accusée, l’obligation de regarder en boucle des documentaires sur la reproduction des vers de terre, et un stage de trois mois à la préfecture…

Il revenait à Maître Cécile Boccacio, descendante de l’illustre Boccace, d’assurer la défense. Evoquant le syndrome de Stockholm, et s’adressant directement à l’accusée, elle la décrit comme une charmeuse de serpents, attirant le lecteur dans le piège des mots qu’elle assemble pour le séduire, et l’avocate avouant être entrée dans l’univers du roman, avoir succombé à la beauté de la phrase et du rythme du récit. Et de continuer dans une plaidoirie toute en émotion, plaidoirie littéraire de très haut vol, réclamant l’acquittement au nom de la littérature.

La Cour – de gauche à droite : Sophie Collin, Gérard Audax et Aurélie Audax

Clotilde de Brito, « trafiqueuse de mots »

Seconde autrice de « Histoire pour percer un pépé », mise en accusation par le syndicat des imprimeurs briochins dyslexiques et autres groupuscules, pour remplacer les b par des p. Retournant l’accusation, l’autrice à la barre considère que le tribunal juge sa prose avec condescendance. Réfutant qu’il s’agisse d’une incitation à la torture des personnes âgées, elle reconnaît que cette société manque d’ouverture d’esprit et d’acceptation de l’autre, rappelant que les espagnols à l’oral remplacent les v par des b (vamos !). Enfin, elle note que dans ce tribunal, chacun a dû un jour être « enrhubé » et transmet un message en solidarité avec les membres de l’association de lutte contre les sinusites chroniques. « Butinons-nous » conclut-elle.

Pour l’élue municipale de St Jean de Braye, lorsqu’un partenaire propose d’aller au plus près de notre population apprenante pour lui offrir de jouer avec les mots, les textes, les poèmes, pour dire ce qu’ils ont sur le cœur ou au fond de la poitrine, la mairie ne peut qu’approuver, parce qu’il est jubilatoire de manipuler notre langue, de penser, de rêver.

Nadia Bouamrirene à qui revenait de requérir, considère qu’on est en présence d’un véritable attentat littéraire, et note qu’il n’y a aucun début de repentir de la part de l’accusée, parle de cynisme. Syntaxe humiliée, conjugaison assassinée, jeunesse pervertie, elle note qu’avec le système de l’accusée, le pape devient « babe », petit cochon au Vatican, et considère que la littérature de l’accusée est ce que le fast-food est à la gastronomie. En conclusion, elle requiert pour l’accusée, un stage au sein de l’Académie Française.

Julien Simon-Descros, en défense, demande si la liberté d’écriture existe toujours, fait appel à l’habeas corpus, et rappelle un mot « Plaider, c’est pester en justice ». Car « peste soit de cette procédure pénale », s’exclame-t-il, et de citer Devos, « on a toujours tort d’essayer d’avoir raison devant des gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort ». Et d’évoquer un Président qui fait rayer des mots dans le vocabulaire de son administration, les talibans qui interdisent de chanter en public, ou celui qui veut annexer un territoire d’un peuple meurtri. Et il conclut en affirmant que condamner la trafiqueuse de mots, ce serait aussi condamner Zola, Perec, Queneau, Vian et MC Solar.

Président, assesseures, Procureurs, avocats, accusés et témoins – Photo B.T.

(à suivre)

A lire aussi: Festival Litt’Oral: la Nuit de la nouvelle

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 14°C
    • après midi 24°C
  • vendredi
    • matin 18°C
    • après midi 29°C
Copyright © MagCentre 2012-2025