Du 16 mai au 24 mai, l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi (PPL) relative au droit à l’aide à mourir. L’examen de la PPL étant achevé, la loi est soumise au vote ce mardi 27 mai 2025. De nombreuses organisations professionnelles impliquées dans l’accompagnement des personnes en fin de vie affirment que donner la mort n’est pas un soin.
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Par Jean-Paul Briand.
Le jeune médecin jure après avoir soutenu sa thèse : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Serment repris par la Déclaration de Genève adoptée par l’Assemblée Générale de l’Association Médicale Mondiale en septembre 1948 : « Je veillerai au respect absolu de la vie humaine ». D’emblée, ces deux déclarations solennelles disqualifient l’aide active à mourir du champ médical.
La médecine ne serait plus l’art de guérir
Grâce à la loi sur l’aide à mourir, en dépit de leur serment, des praticiens ne seront plus là pour empêcher la mort mais pour la précipiter. Ils revendiqueront le statut de soin à leur geste létal.
Une trahison ? Une évolution ? Ou le symptôme d’une médecine qui ne sait plus très bien si elle soigne des corps ou gère des existences ?
La question n’est pas seulement juridique, philosophique ou compassionnelle. Elle est ontologique. Elle interroge ce qu’est un soin, ce qu’est un médecin, ce que devient une société qui refuse la peine de mort pour ses criminels mais l’autorise pour ses plus vulnérables. Si aider activement quelqu’un à mourir est estimé comme un soin, alors il faut reconsidérer la finalité de la médecine et réécrire son histoire depuis Hippocrate. La médecine ne serait plus désormais l’art de guérir, de soulager, d’aider, de soutenir mais plutôt une gestion lucide, insensible et distante du seuil acceptable entre vie et mort.
Supprimer le patient pour supprimer la souffrance
Un « soin », ce n’est pas seulement un acte technique. C’est une promesse implicite, un pacte entre le malade et le soignant. Le soignant dit : je suis là, je t’écoute, je ne te juge pas, je prends ta souffrance au sérieux et je ne t’abandonnerai pas. Cette promesse constitue la relation thérapeutique même si la guérison n’est plus possible. Dans le geste qui fait mourir, ce n’est plus un soin, c’est supprimer le patient pour supprimer la souffrance. C’est confondre l’abolition de la douleur avec l’élimination de celui qui la ressent.
Un progressisme compassionnel péremptoire
Bien évidemment, la médecine ne doit pas s’acharner. La loi Claeys-Léonetti a démontré que mourir dans la dignité ne nécessite ni overdose létale ni piqûre terminale. Elle a clarifié les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable. Elle a réaffirmé le droit du malade à l’arrêt de toute thérapeutique et à bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Elle a placé le patient au cœur du processus décisionnel. Et pourtant, ces soins sont souvent négligés, sous-financés, mal connus. L’aide active à mourir propose une solution simple, rapide, radicale pour celles et ceux que la société refuse au nom de la dignité, d’un progressisme compassionnel péremptoire, de la liberté individuelle de choisir sa sortie. Pour beaucoup ce choix n’en sera pas un car il est souvent construit par l’isolement, la peur de peser sur ses proches, le manque d’alternatives ou d’une prise en charge adaptée.
Ce qui commence comme exception devient vite norme
Il y aurait des cas extrêmes, des douleurs réfractaires, des situations inextricables qui justifient une aide au suicide voire une authentique euthanasie. Faut-il un droit pour tous pour une exception qui est souvent le signe d’une absence délétère de structure adaptée avec des professionnels formés. Cette exception n’est toujours pas un « soin ». On peut éventuellement parler de décision éthique, d’acte exceptionnel, d’ultime recours. Par ailleurs, et l’histoire l’a montré : ce qui commence comme exception devient vite norme. Les pays qui ont légalisé l’euthanasie voient leurs critères s’élargir aux personnes dépressives, aux adolescents, parfois même sans demande explicite.
Non, aider à mourir n’est pas un soin. C’est peut-être un geste de compassion. Parfois une issue face à l’insupportable. Mais ce n’est pas un acte médical au sens plein. C’est une exception à la règle du soin, pas son aboutissement.
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » Albert Camus (Le Mythe de Sisyphe – 1942)