En Centre-Val de Loire, la tarification incitative pour la collecte des déchets ménagers reste à la marge alors qu’elle est censée devenir une norme. Portée par l’ADEME, CITEO et les objectifs climatiques régionaux, cette politique de gestion des déchets infuse timidement, freinée par le manque d’accompagnement, la peur d’un rejet de la population et des questions d’équité encore mal résolues.
La collecte de déchets sous tarification incitative est généralisée dans le Castelrenaudais. ©Magcentre
Par Mael Petit.
Réduire les déchets, améliorer le tri, responsabiliser les citoyens : sur le papier, la tarification incitative (TI) a tout pour plaire. Ce dispositif consiste à faire payer les usagers en fonction de la quantité de déchets qu’ils produisent, selon un principe de « pollueur-payeur ». En intégrant une part variable dans la facture des ordures ménagères (en fonction du poids ou du nombre de levées du bac), le message envoyé est clair : réduire sa production de déchets devient rentable. Mais dans les faits, le choix d’une tarification incitative reste marginal, à mille lieux des objectifs régionaux. En Centre-Val de Loire, alors que chaque habitant produisait plus de 560 kg de déchets ménagers en 2023, seuls 10 % d’entre eux sont couverts par une TI aujourd’hui, alors que le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) visait les 38 % en cette année 2025. « C’est pourtant une des mesures les plus efficaces pour diminuer le volume d’ordures ménagères. Mais la TI souffre d’idées reçues et de fantasmes qu’il faut déconstruire », déplore Jérémie Godet, vice-président de la région en charge des transitions écologiques.
Un manque de compétences
Face à ce retard, l’ADEME et CITEO, entreprise privée mais aussi lobby spécialisé dans le recyclage des emballages, tentent d’accélérer la cadence. L’ADEME accompagne techniquement et financièrement les territoires. « La TI est une question de gestion de ressource et aussi de souveraineté : elle engage à la fois les citoyens et les collectivités dans une démarche de responsabilisation », explique Mohammed Amjhadi, son directeur régional. CITEO, de son côté, use d’un discours plus pragmatique. « Si on veut qu’elles basculent, il faut les accompagner, il faut changer de braquet, sinon on n’atteindra jamais les objectifs », insiste Frédéric Quintart, son directeur régional. Pour cela, voyages d’étude, formations d’élus ou diagnostics préalables sont autant d’outils pour lever les doutes, notamment sur les coûts et l’acceptabilité sociale. Même si le chemin reste semé d’embûches. « C’est clairement un sujet frictionnel. Il y a un manque d’informations et de compétences, aussi bien au sein des élus que dans la population », souligne Martin Cohen de Touraine Propre.
Le Castelrenaudais, petite vitrine de la TI
Si le principe de la TI séduit sur le papier, sur le terrain sa mise en œuvre pratique soulève de nombreuses résistances. Le premier frein, c’est bien sûr le coût de lancement pour s’équiper de bacs pucés, logiciels de gestion, outils de pesée… Pour des intercommunalités rurales ou peu dotées en moyens humains, l’investissement peut en refroidir plus d’un. Parmi les quelques territoires à avoir sauté le pas en région, la communauté de communes du Castelrenaudais fait figure de territoire pilote. Rurale, volontaire, elle s’est appuyée sur le Smictom d’Amboise pour mettre en place la tarification incitative. Résultat : une baisse nette du volume d’ordures ménagères, mais aussi des coûts non négligeables à l’installation. « L’investissement de départ est une sacrée charge, notamment pour le matériel et le système de gestion, reconnait Alain Drouet, vice-président du Castelrenaudais. Mais il faut avoir une vision long terme pour en voir les retombées ». La collectivité évoque néanmoins des difficultés pour recenser les compositions de foyers, adapter la facturation ou encore gérer la réorganisation en interne. « Une étude préalable est indispensable pour anticiper l’ensemble des changements », rappelle Frédéric Quintart.
Des limites qui freinent la généralisation
Dans la comcom Loches Sud Touraine, en réflexion sur une bascule vers la TI, c’est bien cet investissement de départ qui tempère l’enthousiasme autour de ce dispositif. « Le plus gros point d’interrogation, c’est surtout le coût à la mise en œuvre alors que l’on peine à savoir à partir de quand on devient gagnant. La communication et l’information avec la population sont une autre préoccupation. Difficile de leur imposer un changement aussi brusque », admet la conseillère communautaire Elisabeth Vialles. Informer, expliquer, rassurer sur l’impact au portefeuille : l’adhésion citoyenne se révèle être un enjeu prioritaire pour envisager une transition possible.
Alors malgré les bons résultats, la TI reste difficile à mettre en œuvre partout. Et tout particulièrement en milieu urbain dense – même si des villes comme Besançon font figure d’exception – où la gestion des bacs, la mutualisation des points de collecte ou encore le suivi individualisé complexifient le dispositif. Mais c’est surtout la question sociale qui interpelle. Ni la TEOMi (taxe) ni la REOMi (redevance) ne tiennent compte des revenus ou de la taille du foyer. Résultat : familles nombreuses, personnes âgées ou ménages modestes peuvent se retrouver pénalisés. Si Frédéric Quintart prône un déploiement en douceur, secteur par secteur pour limiter les tensions, CITEO assure qu’une réflexion sur des critères sociaux est en cours. Reste à savoir si les collectivités accepteront d’assumer le coût politique d’une décision qui touche directement au porte-monnaie des habitants. Car les promoteurs de la transition écologique le rabâchent suffisamment, une transition réussie ne peut se réaliser sans justice sociale, sous peine de laisser une partie de la population sur le bord de la route.
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