« Jardin d’été », un magnifique conte autour de la mort heureusement ressuscité

Shinji Sōmai a réalisé ce magnifique long métrage en 1994. Une très belle histoire d’enfants qui tentent d’apprivoiser la mort, imbriquant subtilement réalisme et imaginaire. Une restauration et une nouvelle sortie en salles confirment que ce réalisateur, considéré dans son pays comme un grand du septième art, mérite largement le succès qu’il a eu au Japon.

Sac d’os, Binoclard et Sumo à la piscine. Capture bande annonce.



Par Bernard Cassat.


Dans Kobe assoupi sous le soleil d’été, trois gamins sont attirés par une maison et un jardin qu’on dirait abandonnés au milieu des immeubles modernes, mais où vit un vieux un peu clochard, en tout cas très mystérieux. Ces trois personnages d’enfants sont typés un peu comme les pieds nickelés. Il y a Sumo le gros, Binoclard le petit à lunettes et Sac d’os, le troisième. Ils sont dans la même école et jouent au foot ensemble. Sumo vient de perdre sa grand-mère, et la question de la mort plane sur le groupe. Sans aucune obsession ou angoisse, mais juste parce que tous les enfants ont besoin de se confronter à l’absence, à la fin, à l’après fin. Binoclard n’a plus de père, et il s’invente des géniteurs tantôt pompier héroïque, tantôt détective, parce que ça correspond à des situations où il se trouve lui-même. Mais il pense aussi parfois qu’il a fondé une deuxième famille. Donc la question n’est pas simple pour lui.

Les trois enfants suivent le vieux dans la rue. Capture bande annonce.


L’approche de cet endroit abandonné est suffisamment longue pour que les trois gamins nous deviennent de vrais personnages. Shinji Sōmai a recours à toutes les distances d’images pour les cadrer dans cette histoire qui se présente comme totalement réaliste. Filmée souvent à hauteur d’enfant, pendant le foot par exemple, mais aussi en contre-plongée lorsque le point de vue devient plus narratif, ou à hauteur d’homme en plans larges, comme dans les rues. Mais le réalisme se double d’une vraie dimension de conte, et l’imaginaire fait irruption. L’imbrication très subtile des deux lui permet des séquences absolument magnifiques. Celle de l’hôpital dans laquelle Sac d’os déambule au milieu des ombres et de chirurgiens qui portent les bottes du vieil homme qu’il cherche, pour finalement se retrouver dans les sous-sols sombres où une balle mystérieuse rebondit infiniment, est particulièrement frappante. Elle finit à la morgue dans un mélange d’imaginaire enfantin et de réalisme hospitalier qui continue à développer le thème de ce conte.

Le puits, “tombeau” des papillons. Capture bande annonce.


La proximité du vieil homme avec les enfants va se tresser par des actes concrets. Les trois gamins étendent le linge du vieux, puis nettoient le jardin et plantent des cosmos. D’autres clés du conte se retrouvent dans les papillons que le vieux ne jette jamais, mais les « enterre » au fond d’un puits. Symbole pour les enfants de cet après la fin qu’ils ont besoin d’apprivoiser.

L’heure des confidences. Capture bande annonce.


Et lorsqu’ils deviennent suffisamment proches du vieux pour qu’il leur raconte son histoire, c’est un épisode de guerre terrifiant qui a brisé sa vie. À partir de là, l’histoire va vraiment sortir du réalisme, mais sans aucune rupture esthétique. Pour culminer dans la mort du vieux, scène magnifique où les trois enfants le frottent pour tenter de lui redonner vie, et surtout dans l’envolée de papillons et de lucioles qui sortent du puits.

Les jeux avec le vieux devenu ami. Capture bande annonce.


Film d’enfants, film sur l’enfance, sur les questionnements et les ruses psychologiques des enfants devant la complexité de la vie et de la mort, Jardin d’été nous baigne dans une sorte de limpidité puissante et délicieuse. Les trois gamins, plus qu’attachants, font vivre ce scénario simple mais tout en subtilités. Quand ils suivent le vieux avant de le connaître, et qu’ils font semblant de regarder ailleurs, ils réalisent une très grande prestation d’acteurs. Et Shinji intercale dans le récit des images totalement poétiques, les corps dans la piscine, par exemple, nageant presque en ligne, filmés en surplomb. Ou les images de nature, d’herbes, de papillons. Il arrive même à trouver des angles fantastiques, en faisant marcher ses personnages dans la petite rivière par exemple.

Ce film nous donne une furieuse envie de découvrir son œuvre plus à fond. Mort jeune, à 53 ans, il a laissé une quinzaine de films largement récompensés dans les festivals, notamment celui des 3 Continents de Nantes. Cette restauration est liée à la rétrospective que propose la Maison de la culture du Japon de Paris du 2 mai au 27 juin. L’occasion où jamais…


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