Complice de Jean-Louis Foulquier, qui lui a ouvert les portes du monde des artistes, Michel Rougé a capté l’âme de la scène française, de Gainsbourg à Cabrel, en passant par Higelin, Renaud, et tant d’autres. À travers une exposition photos, visible à la médiathèque de Montargis jusqu’au 30 août, se dessine une vie d’amitiés, de musique et de moments suspendus.
Par Izabel Tognarelli.

La façade de la médiathèque donne un avant-gout de cette exposition cl IT
Ne dites pas à Michel Rougé qu’il a eu de la chance ; il vous répondra : « La chance, ça se force. » Ce photographe, désormais octogénaire — mais au regard resté malicieux — n’a pas seulement croisé le chemin des plus grandes figures de la scène française : il les a écoutées, aimées, sublimées. Son parcours, tissé d’amitiés fidèles, raconte un homme à la fois discret et profondément attachant, dont la sensibilité a guidé chaque geste, chaque cliché.
Adolescent, il hantait les studios d’Europe 1 et de RTL, fasciné par le monde des artistes. Jacques Martin le prend sous son aile, Jean Yanne le fait rire. Il commence à photographier, sans formation académique, mais avec un instinct sûr et un désir ardent d’approcher la scène. Ce n’est pas la technique qui fait un bon photographe, dit-il : l’essentiel est dans la sensibilité.
Michel Rougé sait écouter. C’est même là sa marque de fabrique : il capte les silences, les instants de vérité, les regards échappés.
Un œil curieux, une audace tranquille
À bord du croiseur Colbert, pendant son service militaire, il crée de toutes pièces un labo photo. Audacieux, il devient photographe officiel du navire et saisit un instant d’histoire : une photo rare du général de Gaulle à Saint-Pierre-et-Miquelon. Déjà, Michel Rougé ne se contente pas d’attendre que les choses arrivent, il les provoque.
Sa vie prend une tournure décisive grâce à une bourriche d’huîtres. Commercial en appareils photo sur le secteur de la Bretagne et de la Normandie, il en apporte chaque semaine à la radio, où travaille un ami. C’est ainsi qu’il rencontre Jean-Louis Foulquier. Commence alors une amitié de plusieurs décennies, scellée par la confiance et les fous rires. Foulquier devient le parrain de sa fille, et Michel, son photographe de cœur. Alors quand Foulquier crée les Francofolies, Michel est de la partie, prêt à capter l’âme des artistes.
Michel Rougé a l’art et la manière de capter les expressions – photo Izabel Tognarelli
Capturer l’âme, pas le masque
Son secret, sa patte, c’est d’avoir photographié les artistes avec respect. Il ne vole pas les images : avec nombre d’entre eux, il a établi un contrat tacite de confiance. Il leur montre ses pellicules, coupe ce qui leur déplaît, s’effaçant pour mieux les révéler. Ainsi a-t-il capté ces instants où l’artiste s’abandonne, où le cœur de l’humain perce derrière l’habit de lumière.
Les anecdotes fusent : Gainsbourg qui éclate une carafe d’eau en direct, lors d’une émission de Patrick Sébastien, pour ensuite fondre en larme en écoutant la chanson hommage entonnée par les petits chanteurs d’Asnières ; Véronique Sanson, si fragile qu’il fallait parfois l’accompagner sur scène, si puissante dès qu’elle est installée à son piano ; Lavilliers le poète dont les bras hyper musclés sont taillés pour porter des bébés ; Cabrel jouant au foot en coulisses pour décompresser avant de monter sur scène ; Nougaro, le tempétueux, que Foulquier protégeait tant bien que mal de ses emportements… Chaque fois, Michel était là, en ami plus qu’en témoin.
Ses murs sont tapissés de ces visages, de ces instants suspendus. Il vit aujourd’hui dans cette nostalgie qu’on lui reproche parfois. Mais comment en vouloir à un homme dont la vie fut un feu d’artifice de rencontres ? Il tente d’apprivoiser le présent — les ateliers d’écriture au cours duquel il a écrit son livre, les projets, les souvenirs — mais son cœur reste attaché à cette époque vibrante, peuplée d’amitiés indélébiles.
Michel Rougé n’est pas un technicien virtuose, ni un mondain. C’est un homme de l’ombre, fidèle, tendre, un peu cabossé par la vie, mais animé d’un profond respect pour autrui. Il a photographié les artistes pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils représentent. Il les aime, vraiment, comme il aime tendrement tous ceux qui sont ou ont été ses amis : cela se voit et s’entend. Cela se ressent. Voilà pourquoi ses photos sont atemporelles, y compris pour les voix qui, hélas, pour certaines d’entre elles, se sont tues.
Livres, disques, revues, tout ce dont dispose le fonds documentaire de la médiathèque a été mis à contribution – photo Izabel Tognarelli
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