Poussant encore plus loin sa voix si singulière, Quentin Dupieux s’attaque avec férocité à la bêtise qui règne sur internet. Scénario bien ficelé, dialogues très drôles, acteurs-trices de rêve, son film porte. Sordides, maléfiques ou minables, ses personnages existent et font mouche dans ce divertissement profond. Un bon moment, mais aussi une réflexion persistante.
Adèle Exarchopoulos en Magaloche. Photo Chi Fou Mi Productions, Arte France – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.
Par Bernard Cassat.
Le réalisateur-scénariste Quentin Dupieux s’attache dans L’Accident de piano à une post-ado nulle, inculte, insupportable et frisant la débilité mentale, mais millionnaire, grâce à son site. Elle ne souffre pas car elle a de naissance une maladie qui fascine les scénaristes. Magalie, Magaloche sur le net, teste donc des trucs violents et rigolos, enfin parfois, se filme et poste ses vidéos, entrainant un nombre de suiveurs considérable. Mal en point à cause de sa dernière vidéo, elle part se ressourcer à la montagne avec son homme à tout faire.
Jérôme Commandeur. Productions, Arte France – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.
La première réussite du film, ce sont les acteurs. Adèle Exarchopoulos en Magaloche est incroyable. Physiquement d’abord. Bras cassé, coiffée comme une perruque, avec des appareils dentaires très visibles. Sa manière de parler en est modifiée. Elle reste inlassablement l’ado qu’elle était à sa première vidéo. Son rire débile, ses remarques plus que décalées vont dans le même sens. Elle traite les gens en moins que rien. La scène avec la coiffeuse et sa laque est un comble. Le personnage est infect, maléfique, toxique, et l’actrice extraordinaire. Ses partenaires jouent à égalité. Jérôme Commandeur rend quasi sympathique Patrick, un type pourtant minable, qui déteste la patronne qu’il bichonne, qui n’est là que pour l’argent et qui est prêt à tout pour continuer à en gagner, qui trompe allègrement sa femme en crachant sur elle autant que dans le yaourt de Magaloche.
Sandrine Kiberlain. Productions, Arte France – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.
Et puis arrive dans ce couple Sandrine Kiberlain, une journaliste qui fait du chantage pour avoir une interview. Impeccable actrice, elle rend Simone aussi agaçante que perspicace, et on a envie de démonter Magaloche avec elle. Sandrine introduit tout en douceur la question très secondaire de la classe sociale, mais dont la présence est importante. Elle fait aussi éclater le vrai thème du film, l’autodestruction comme objet de spectacle. Et pour compléter ce brillant trio, Karim Leklou en fan à scooter, toujours aussi halluciné et un tantinet prolo, justement, au même niveau de débilité que Magaloche. Avec son petit frère Karim, Gabin Visona en vrai, ils viennent comme de drôles de moustiques piquer l’histoire en la laissant s’accomplir jusqu’à la fin. Consommateurs jouisseurs, observateurs pervers, mais pas acteurs.
Karim Leklou. Productions, Arte France – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.
Cette histoire n’avance que par la mise en scène et le montage. Le début donne le ton : un piano pendu par un filin dans le ciel et qui soudain tombe, une descente d’hélicoptère dans un paysage enneigé. Cette simple relation visuelle enclenche la suite : une indéfinissable ado éclopée est attendue par une luxueuse voiture et un chauffeur. Plus tard, l’interview est arrangée au beau milieu d’un gymnase vide, ce qui permet des conflits de plans assez sportifs.
L’interview dans le gymnase. Productions, Arte France – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.
Et beaucoup d’inserts plus ou moins brefs raniment la flamme, ce très très gros plan de la bouche de Magalie et de ses appareils métalliques entre autres, ou la bataille de yaourt boule de neige. On va de l’éclat de rire au sourire crispé, du gros humour comme on en voit partout sur le net au clin d’œil plus fin. Mais où le film est vraiment intéressant, c’est lorsqu’il décante, lorsque les thèmes lancés par cette Magaloche débile résonnent et deviennent un tableau critique du net et de ses aberrations. Poussée par Simone, elle se rend compte qu’elle n’est que noirceur et que ses fans jouissent de la voir se démolir. L’autodestruction, le nivellement par le bas, la chute généralisée dans la nullité payante parce que spectaculaire !
On savait Quentin Dupieux très original, même un peu barge, mais avec toujours une étincelle brillante. Il confirme ici, dressant gentiment un procès sévère de l’imbécillité ambiante qui fait des ravages sur le net.
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