Pendant que les abeilles butinent, les députés, eux, déroulent : pesticides, mégabassines, élevages industriels intensifs… Sur l’autel de la simplification, la loi Duplomb fauche les quelques garde-fous environnementaux au nom de la compétitivité agricole.
Ca butine et ça bourdonne… Photo Magcentre
Par Fabrice Simoes.
En Sologne c’est la pleine période du butinage. Dans le Berry aussi. Au Rucher des Brosses, à Allogny, on explique pratiquer une « apiculture respectueuse de nos abeilles. Directement de la ruche au pot… Ça butine et ça bourdonne. » D’ailleurs la récolte sera bonne cette année. C’est ma voisine qui l’a dit. Elle s’y connaît en miel, en ruches et en abeilles, ma voisine. C’est qu’elle en a vu des récoltes de miel depuis… un certain temps que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître. Pourtant, dire que le texte de la loi Duplomb, qui vise à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, l’enchante, est un doux euphémisme. Même si les ruches et les abeilles ce n’est pas le gagne-pain de ma voisine, elle sait que quand les essaims disparaissent, c’est un peu plus qu’un crève-cœur.
La droite et la FNSEA de mèche
Camouflés derrière leur petit doigt du « sans les agriculteurs vous auriez quoi dans vos assiettes ? », les lobbies de la charrue à 9 corps, de la FNSEA et du purin déposé devant les grilles des sous-préfectures ont fait le taf. Ensemble, tous ensemble, les élus du milieu, de la droite classique, de l’extrême droite aussi – qui ne rate pas une occasion de se rappeler que le peuple ça aide pour l’élection, pas pour le défendre – ont fait bloc derrière les demandes des pontes de l’agriculture intensive. Camouflés derrière leurs pupitres, les députés, après les sénateurs, ont voté pour la « réintroduction d’un pesticide, le stockage de l’eau ou l’agrandissement des élevages ». Les maladies liées au premier, la captation du bien commun associée au deuxième, le bien-être animal du troisième, ce ne sont pas des problèmes du moment. On pourrait dire en termes courtois et choisis que notre société se consume et se délite, rongée par l’égoïsme ambiant, mais cela manquerait bigrement de visibilité. Par contre, si on écrit que dans le contexte général c’est le « tout pour ma gueule » qui prévaut, on est autrement interpellé ! Vulgaire, peut-être. Efficace, certainement. D’autant que la vulgarité ce pourrait être de prétendre qu’avaler des pesticides est bon pour la santé.
Ce qui pourrait être marrant si ce n’était pas si triste, c’est que tous les acteurs de la loi ci-dessus sont réunis dans un roman de l’écrivain britannique Jonathan Coe – rien à voir avec Sébastien du même nom, aussi efficace en tant que lobbyiste pour les JO de Londres 2012 qu’en tant qu’athlète – testament à l’Anglaise, paru voilà plus de trente ans… En lieu et place des membres de la famille Winshaw, on pourrait accoler bien des noms de maintenant. Comme quoi, les romans ne sont pas toujours de simples fictions.
Simplification toxique
Faire croire qu’en aspergeant d’insecticides on améliore la qualité du produit, c’est remettre au goût du jour l’esprit Shadock et la pompe qui va avec. Alors que l’on annonce le retour de ces pompeurs indécrottables créés en 1968 quelques jours avant la macro-révolution sociale de mai, les dogmes de ce grand précurseur adepte du grand professeur Shadoko sont décidément toujours d’actualité. Sous couvert de simplification, on se retrouve avec un texte version Ga Bu Zo Meu qui taille et qui coupe. Plus tu cours moins vite, moins tu vas rapidement. Voilà un précepte qu’il ne faut surtout pas confondre avec moins tu pédales vite, plus tu as de chances de te vautrer par terre. Cette manière de procéder, proche de la méthode Coué, entre sciemment dans le domaine de l’infantilisation et devrait être interdite en raison de son efficacité prouvée et sa nocivité à court terme.
La finalité c’est nous obliger, pauvres Gibis – les opposés des Shadoks – à perdre notre chapeau et rejoindre un bras de la pompe. À l’heure où les mots perdent de leur valeur parce que l’on ne connaît même plus leur sens, l’interprétation devient le plus souvent erronée. Quant à envisager d’en faire la remarque, il est toujours facile de rétorquer qu’il ne faut pas jouer sur les mots. La simplification est à la démocratie ce qu’est une lettre des apôtres, un verset, une sourate, et autres mantras dans une quelconque religion.
La disparition du sens critique pour le remplacer par des dogmes voulus par de soi-disant élites est un phénomène vieux comme le monde appliqué désormais à des méthodes modernes. Faire disparaître le réel et le supplanter par le ressenti, et s’appuyer là-dessus pour manipuler les opinions, c’est le travail de sape confié aux chaînes d’info en continu associées aux réseaux sociaux. Les premières, sous le prétexte d’information, ne sont que des miroirs grossissant amplificateur d’une idée choisie. Les deuxièmes ont, depuis leur création, prouvé leurs capacités à être de parfaits incubateurs de la connerie humaine. Un peu comme un rébus Shadok.
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