C’est avec JR, star mondiale de la photographie, que le carré Sainte-Anne – un centre d’art sis dans une église désacralisée de Montpellier – rouvre ses portes après sept ans de travaux. L’artiste y a planté une œuvre « participative » composée d’un magnifique arbre dont les feuilles sont 10 000 mains photocopiées venues du monde entier.

Un tableau de JR cl BdV
Par Bénédicte de Valicourt.
Imaginez un immense arbre en majesté dont les feuilles, 10 000 mains suspendues venues des quatre coins du monde, projettent leur ombre sur le sol. C’est l’œuvre poétique et majestueuse que JR, star mondiale, a plantée sous les voûtes du Carré d’art Sainte-Anne, une église désacralisée transformée en centre d’art. Il l’a appelée « Adventice » du latin ad venire, qui vient de l’extérieur. Comme une allégorie de ces graines qui arrivaient par bateau à Montpellier. Une histoire authentique qui lui a été soufflée par le commissaire de l’exposition Numa Hambursin. En effet, au Moyen Âge à Montpellier, les femmes lavaient aux bords du Lez, le fleuve local, bordé de moulins drapiers, de la laine brute importée d’Espagne, d’Afrique du Nord, de Constantinople ou de Smyrne. Parfois des graines s’en échappaient, germaient et se transformaient en arbres aux essences inconnues. Il n’en fallait pas tant à l’artiste pour qui l’arbre est « une herbe, une graine, une main tendue, a-t-il expliqué le jour de l’inauguration. Les mauvaises graines sont indispensables à notre société. C’est aussi une idée forte pour notre époque : ce qui vient d’ailleurs peut enrichir un sol, une culture, une ville. »
Un message politique fort, bienvenu en ces temps de chasse aux migrants généralisée et bien à l’image de ceux auxquels nous a habitué l’artiste, auteur entre autres d’une installation gigantesque sur le mur construit par les États-Unis à la frontière avec le Mexique (Kikito, petit garçon d’un an, regardant malicieusement au-dessus du mur, 2017). D’ailleurs « Adventice », comme d’autres œuvres de JR, a pu se construire grâce aux 10 000 mains que l’artiste a reçues du monde entier, le projet ayant mobilisé des écoliers, des adultes en EHPAD, des musées… Chaque visiteur du Carré Sainte-Anne est appelé à son tour à l’enrichir en laissant une photocopie de sa main. De quoi faire vivre l’arbre et constituer, dixit l’artiste, « une mémoire collective en perpétuelle évolution ».
L’arbre de JR cl BdV
Un artiste « enthousiasmant »
Ce n’est pas habituel pour JR de travailler sur un projet autour de l’environnement. Sa signature est plutôt liée à des projets urbains ou des lieux patrimoniaux à forte portée symbolique : le projet de collage dans une prison de haute sécurité de Californie (2019) ou bien Kikito à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, pour n’en citer que deux. Mais on retrouve un même fil conducteur : l’équité entre tous les humains et la volonté de mettre tout le monde au même niveau, de donner un espace de parole aux inconnu·es en travaillant à nourrir un inconscient collectif fort. Donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas. On pense aux mots d’Armand Gatti : « Pouvoir exister quelque part, contre tout ce qui autour de vous, vous dénie toute forme d’existence, vous accule à la dégradation » (L’aventure de la parole errante, 1987).
À la tête d’une équipe qui intervient dans le monde entier, entouré d’un staff d’une dizaine de personnes, commercialisant sérigraphies, photos, livres et films, « spectaculaire », « démagogique » pour une partie du milieu de l’art, JR se singularise par une démarche artistique plus sociale, voire politique que purement photographique. On recommande ses magnifiques échanges avec Agnès Varda (Visages Villages en 2017) alors qu’ils traversaient tous deux les campagnes françaises à la rencontre des habitant·es des villages.
« Adventice »
Jusqu’au 7 décembre 2025
Carré Sainte-Anne, Montpellier.
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 13h. Entrée libre.
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