Il y a quelques jours, le candidat Horizons aux municipales 2026 à Tours Henri Alfandari était invité à un débat sur la laïcité. Il a pu y démontrer l’étendue de sa pensée complexe… quitte aussi à mentir sans trop de scrupules, multipliant les appels du pied à l’électorat le plus droitier. Et pendant ce temps, un de ses lieutenants pour les municipales, Thibault Coulon, connu pour ses très pieuses et conservatrices positions politiques, participait au Vatican au « Jubilé des Pouvoirs Publics 2025 ». En toute laïcité.
Henri Alfandari est en pleine campagne pour les municipales à Tours – Image archive ©37°
Par Joséphine.
Prendre la lumière
Désormais officiellement dans les starting-blocks pour reprendre la mairie de Tours à la gauche, le député de Loches Henri Alfandari doit tenter d’exister dans un espace politique saturé à droite, pris en étau entre les notables LR-UDI-EPR qui ne veulent pas se ranger derrière lui et le RN qui a envoyé un ténor régional faire campagne. Alfandari doit d’autant plus prendre la lumière que les débuts de sa pré-campagne ont été poussifs, la presse locale n’ayant pas été tendre avec son parachutage impromptu il y a quelques semaines. Et l’équation à résoudre est délicate : il s’agit de coller au RN pour en siphonner l’électorat le plus bourgeois et conservateur tout en tapant sur LR-UDI, accusés d’avoir perdu en 2020 après un mandat transparent pour la droite, ne représentant plus une solution d’avenir.
C’est dans ce contexte électoral qu’Henri Alfandari a été invité à un débat local sur la laïcité, débat où son contradicteur était Charles Fournier, député EELV-NFP de Tours.
L’autre homme du « en même temps »
Dès le début du débat, Henri Alfandari enfile les perles de la pensée complexe et du « en même temps » si cher à Emmanuel Macron. Il n’a rien contre les musulmans, mais quand même, il y a eu le 11 septembre 2001. Il ne pense pas que l’État doive légiférer sur les tenues vestimentaires, mais quand même, les habits utilisés par certains musulmans sont des outils de propagande. Il pense la laïcité comme un principe universel, mais quand même, il ne faudrait pas l’utiliser contre le catholicisme et nier nos traditions etc.
Alfandari profite aussi de la soirée pour faire ses gammes en reprenant les thèmes préférés du RN et de leurs petits télégraphistes LR. Le tube du moment est d’ailleurs mis à l’honneur, chanté à tue-tête par le député de Loches : il y aurait un dangereux et incontestable entrisme islamiste qui s’appuie sur les faiblesses de notre système pour faire avancer le parti de l’étranger et saper notre République. Selon Alfandari, ce sont les frères musulmans qui sont à la manœuvre : « On a laissé les gens pauvres se faire manipuler par des religieux avec un programme politique », cette méthode s’est développée en Égypte, puis au Moyen-Orient et maintenant ici, dans « des quartiers que nous avons abandonnés ». Peu importe que le sujet ait été monté en épingle par Bruno Retailleau avec la parution d’un rapport « choc déclassifié » très critiqué par les spécialistes universitaires de la question, aussi bien sur le fond que sur la forme. Le principal, comme d’habitude, c’est le coup de comm’.
Et puis, ça ne mange pas de pain, Alfandari prend également pour cible le wokisme importé d’Amérique, accusé de nuire à la concorde civile et à nos traditions, lâchant quelques aphorismes bien sentis : « Faire des segments dans l’électorat, le porc, la lutte antifasciste, tout ça nous éloigne de la question de former une communauté nationale ». Le gramscisme hallal nuirait-il donc au vivre ensemble ?
C’est la faute à l’ultra-gauche ma pauv’ Lucette
Rapidement mis en difficulté par Charles Fournier qui pointe pas mal de raccourcis et de contradictions dans les propos d’Alfandari, ce dernier perd en sérénité. Il passe alors à l’attaque, façon chroniqueur de CNews à court d’arguments, qualifiant Charles Fournier de « membre de l’extrême-gauche » avant de soulever la question de l’entrisme islamique dans LFI, alliée des écologistes.
C’est à ce moment qu’Alfandari sort LA botte secrète pour valider ses accusations, laissant l’auditoire estomaqué par la puissance de la saillie et du scoop : l’extrême-gauche aurait systématiquement fait effacer le nom de Georges Clemenceau de la notice Wikipédia portant sur l’affaire Dreyfus. Car selon Alfandari, la figure de Clemenceau gênerait « une certaine gauche » par son intransigeance au sujet de la laïcité et par sa lutte résolue contre l’antisémitisme. Et vlan, dans tes dents Mélenchon-l’islamo-gauchiste-communautariste et tes alliés extrémistes dont Charles Fournier et donc les écolos et donc la majorité municipale de Tours, vous suivez ? Pire, selon Alfandari, « cela fait 12 ans que cette censure dure sur Wikipédia » mais que lui refuse de se taire face à la terreur rouge.
Sauf que, vérification faite, la notice Wikipédia sur l’affaire Dreyfus cite Clemenceau 16 fois. Que cette notice existe depuis plus de 20 ans et que grâce à l’historique des modifications qui est public, on peut constater que ces 12 dernières années – et même avant –, Clemenceau a toujours été abondamment cité pour son rôle connu et central dans l’affaire Dreyfus et qu’il n’y a pas eu de tentative d’effacement de son nom à aucun moment. Du reste, avec les informations limitées sur les contributeurs Wikipédia, il est impossible de connaître leur orientation politique.
Non content de raconter une pareille fable en direct et devant caméra, Alfandari enchaîne en citant bien mal à-propos ce pauvre Clemenceau à qui il fait dire que seul l’État et l’école de la République garantissent l’émancipation des individus en luttant contre l’influence de la religion et des idéologies. Sauf qu’Alfandari commet un étonnant contre-sens en s’appuyant sur un célèbre discours au Sénat de 1903 dans lequel Clemenceau explique en réalité pourquoi il juge dangereux de donner le monopole de l’éducation à l’État, refusant alors de voter l’interdiction de l’enseignement catholique. Ce serait, selon Clemenceau, faire courir le risque du formatage institutionnel des esprits et que c’est pour cela que le maintien de l’enseignement catholique est utile : pour assurer un contre-pouvoir éducatif et garantir la liberté et la pluralité de conscience.
Laïcité et transcendance
Détail cocasse, quelques heures après le débat, un des principaux soutiens d’Henri Alfandari dans la course à la mairie – Thibault Coulon – partageait sur les réseaux sociaux des photos de son voyage au Vatican et de sa rencontre avec le Pape. On ne parle pas ici des pieuses vacances personnelles de celui qui était encore appelé par la NR il y a quelques années « Chevalier Thibault » ou « le Tintin de Christine Boutin » à cause de ses positions très catholiques et pro-Manif pour Tous. Non, il s’agit bel et bien ici d’un voyage en tant que décideur politique et membre d’un exécutif afin de participer au « Jubilé des Pouvoirs Publics 2025 ». Pour cet événement organisé par la papauté tous les 25 ans, une vingtaine d’élus français flanquée de deux hiérarques de l’Église de France a suivi pendant deux jours un « sacré » programme, malheureusement lâchés au dernier moment par Bruno Retailleau qui avait prévu de faire le déplacement mais qui a été rattrapé par son agenda.
Nos élus en goguette romaine ont profité du séjour pour suivre divers rites religieux mis en scène comme un pèlerinage, avec comme point d’orgue un angélus et une messe papale dans un carré VIP. Mais ils ont eu également droit aux discours officiels livrés aux décideurs, et c’est le site « Vatican News » qui en parle le mieux :
« Reprenant un extrait de l’encyclique Fratelli tutti de son prédécesseur, l’évêque de Rome a insisté sur « le témoignage concret de l’action de Dieu en faveur de l’homme », que représente précisément l’action politique (…) Il est important de favoriser la « rencontre respectueuse et constructive entre les différentes communautés religieuses ». S’appuyant sur les écrits de saint Augustin, Léon assure que les pouvoirs publics peuvent faire beaucoup dans ce domaine en faisant basculer « l’amour égoïste, fermé et destructeur » vers « l’amour gratuit », enraciné en Dieu, portant au « don de soi » et par conséquent à « une société où la loi fondamentale est la charité ». Le Pape a souligné la nécessité d’un changement de paradigme : « plutôt que d’exclure à priori, dans les processus décisionnels, la considération du transcendant, il sera utile de rechercher en lui ce qui unit tout le monde ». Il poursuit sur « la loi naturelle, non écrite par la main de l’homme (…) la loi naturelle est la raison droite, conforme à la nature, universelle, constante et éternelle, qui, par ses ordres, invite au devoir, et par ses interdictions détourne du mal ». Pour le Successeur de Pierre, cette loi incontournable est une boussole « qui permet de s’orienter dans la législation et l’action, en particulier sur les questions éthiques délicates qui se posent aujourd’hui de manière beaucoup plus pressante que par le passé ».
Un petit goût « d’entrisme » religieux avec un but politique ? Non, juste de « l’amour gratuit », rien à voir.
Alerte à la surchauffe
La pré-campagne d’Alfandari continue donc de patiner sévèrement. Pas facile d’être à la fois conseiller départemental, député, délégué Horizons à la question des énergies, invité régulier des plateaux télé pour commenter l’actualité, candidat à la mairie de Tours, spécialiste de la laïcité et exégète de Clemenceau. D’ailleurs, le mandat du député Alfandari ces derniers mois s’en ressent, lui qui n’a pris part lors de cette session parlementaire qu’à 11% des votes à l’Assemblée Nationale, ce qui le place dans le groupe des 20% des députés les moins actifs… même si cela lui a quand même permis de voter les 2/3 du temps comme les députés du RN. Amen.