De Delhi à Montargis, le regard d’Ayesha

Ayesha Kagal a travaillé au Times of India et à NDTV, grande chaîne de la télévision indienne. Venue de Delhi, elle a passé trois semaines à Montargis, à l’invitation de son amie de longue date, la journaliste Vaiju Naravane. Elle a découvert la région Centre-Val de Loire, non comme une touriste, mais en immersion. Nous avons recueilli son point de vue forcément décalé sur cette petite ville du Loiret et ses environs.

Ayesha Kagal a passé une bonne partie de sa carrière comme directrice du service des documentaires de New Delhi Television (NDTV) – photo Izabel Tognarelli


Par Izabel Tognarelli.


En préambule, rappelons que Delhi compte plus de 30 millions d’habitants, selon de récentes estimations de l’ONU, contre 2,1 millions pour Paris. La capitale fédérale indienne s’étend sur 1 483 km², contre seulement 105 km² pour la capitale française. Cela fait donc de Delhi une ville deux mille fois plus peuplée que Montargis, 15 000 habitants, ville située à l’est de la région Centre-Val de Loire. Même en ajoutant la population de l’ensemble de l’Agglomération montargoise, les chiffres sont sans commune mesure. À cela s’ajoutent des différences marquées d’architecture, de paysage, de culture et de mode de vie. Une fois ces jalons posés, quel regard Ayesha Kagal a-t-elle posé sur Montargis et ses alentours ?

Un voyage végétal, de Monet à Hockney

Pour ce séjour en France, Ayesha souhaitait voir des jardins. Après tout, la Touraine – surnommée « le Jardin de la France » pour ses paysages verdoyants, ses nombreux jardins, ses terres agricoles fertiles et ses châteaux majestueux – n’est qu’à 200 kilomètres. Une broutille pour une si grande voyageuse ! Mais elle a pris la direction de l’Île-de-France, plus accessible depuis l’est du Loiret, avec la Normandie dans la foulée. « Avec mon amie Vaiju, nous avons fait de longs trajets à travers cette campagne incroyable ! »

Ayesha tenait à visiter Giverny, où l’art de Claude Monet semble prolonger son jardin, ou peut-être est-ce l’inverse. Même impression en découvrant l’exposition consacrée à David Hockney à la Fondation Vuitton, à Paris : le paysage normand s’expose sur ses toiles : « Il a une maison en Normandie : tous les paysages incroyables que j’avais vus en venant étaient là, dans ses tableaux ! » Elle est repartie avec en tête le titre du livre consacré à l’artiste et à ses œuvres réalisées pendant les confinements de 2020 : Spring cannot be cancelled (« Le printemps ne peut pas être annulé »), une phrase qu’elle garde en mémoire.

Une des images de Montargis qu’Ayesha gardera en esprit – photo Izabel Tognarelli

Montargis, une composition végétale réfléchie

Au cours de ses promenades dans la Venise du Gâtinais, Ayesha a été frappée par l’attention portée aux plantes, aux arbres et à la composition des massifs : « J’ai trouvé que c’était comme si sur chaque pont, la palette de couleurs était délibérée. Je me suis demandée quelle main, quel jardinier était derrière : les couleurs ne sont pas là de manière accidentelle. Je suis très intriguée par la façon dont cela est planifié, sans toutefois paraître formel. C’est simplement beau. Il y a quelqu’un, ici, qui fait attention à cela, comme si l’amour était dans les détails. C’est un sentiment agréable dans le monde très urbanisé d’aujourd’hui. C’est précieux ».

« L’histoire est là, intégrée à la vie quotidienne »

Au cours de son séjour, Ayesha a aimé le patrimoine de Montargis : « Ici, tout est si petit, contenu, intime ; mais ce que vous avez en commun avec l’Inde, c’est la coexistence naturelle avec l’histoire. Delhi est une ville très ancienne. Vous vous promenez et vous tombez sur une vieille tour de 600 ans : nous vivons avec l’histoire. C’est ça aussi que j’aime à Montargis, il y a de l’histoire. Je n’en connais pas les détails, mais cela donne de la profondeur à la ville. Il y a une densité dans les lieux qui ont du vécu et de la platitude dans les villes déconnectées de l’histoire. Ce n’est pas le cas ici. »

Lorris, une retraite au flambeau au charme désuet

Au soir du 14 juillet, son amie l’a menée jusqu’à Lorris, petite ville de 3 000 habitants, en lisière de la forêt d’Orléans. Le feu d’artifice ne l’a pas impressionnée (« C’est la même chose partout »), mais l’ambiance l’a marquée : une retraite aux flambeaux, des pompiers en tête du cortège, une halle médiévale, des enfants qui courent, des familles qui arrivent après le dîner, pizzas en main. « That was so quaint », nous dit-elle, avec son timbre de voix doux, posé, et son rythme si particulier, entrecoupé de moments suspendus comme si elle allait entamer une nouvelle phrase, mais non : c’était le temps de la réflexion. « Quaint », terme qui désigne quelque chose d’à la fois charmant et un peu démodé. Mais ce qu’elle a surtout retenu de cette soirée, c’est que ce tableau était vivant.

Quand l’histoire s’inscrit à chaque coin de rue, cela donne de l’épaisseur à une ville – photo Izabel Tognarelli

La médiathèque : une ruche pleine de livres

Ayesha écrit des livres pour enfants. Ses pas l’ont donc tout naturellement amenée devant la médiathèque de Montargis. L’exposition de photographies sur les chanteurs français des Francofolies lui a paru peu accessible : pas de légendes, pas de contexte. Après tout, que savons-nous, nous autres Français, de la scène musicale indienne des années 1980 à 2010, période que couvre cette exposition ?

Mais elle a été sensible à la médiathèque dans son ensemble. « C’est un lieu public où il y a beaucoup d’activités à chaque étage ». Elle a été particulièrement enthousiasmée par l’espace jeunesse, où femmes et enfants jouaient autour des livres. « En Inde, explique-t-elle, plus personne ne lit, des bibliothèques ferment. Or, ici, cette médiathèque est pleine de livres. Peut-être est-ce différent en France. Car en Inde, les jeunes ne lisent pas : tout passe par les vidéos, par les écrans. C’était donc agréable de voir une médiathèque si vivante ».

Tout au long de notre conversation, une question nous brûlait les lèvres : n’est-ce pas oppressant de vivre dans une ville aussi peuplée que Delhi ? « Ici, j’ai vu de beaux villages, nous a répondu Ayesha, mais très peu de gens. Où sont-ils passés ? J’aime voir du monde ; c’est ça, la vie ! ». Comme quoi tout est relatif !

Une partie de l’espace jeunesse de la médiathèque de Montargis, un lieu qu’a particulièrement apprécié Ayesha – photo Izabel Tognarelli

  

De Moscou aux contes pour enfants :

une vie de récits

Ayesha Kagal avait une vingtaine d’années quand elle a commencé sa carrière de journaliste au Times of India, le plus grand journal de langue anglaise en Inde. Puis, au début des années 90, elle a été affectée à Moscou, comme correspondante, après l’éclatement de l’URSS. « J’ai travaillé pour le journal pendant environ 25 ans. Ensuite, j’ai travaillé pour la télévision ; je m’occupais de documentaires, de longs métrages : c’était une vie incroyablement riche ! » Vivre à Moscou dans les années 90 lui a donné l’habitude de parler avec les gens de leur expérience, surtout quand elle a été douloureuse. C’est un travail qu’elle recommande de faire avec empathie, sans perdre son objectivité : « C’est un devoir de raconter leur histoire pour la faire connaître au monde. C’est un travail à faire avec le cœur. Avec la tête, certes, mais aussi avec le cœur. » Mais elle a vu tant de choses terribles dans sa vie qu’elle aspire à présent à la joie et à la beauté, d’où ses livres destinés aux enfants.

Les livres d’Ayesha Kagal font la part belle à la nature, à l’enfance et aux animaux – photo Izabel Tognarelli


Plus d’infos autrement :

Vaiju Naravane, voix indienne de l’Europe

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