Musée de la Résistance de Lorris : l’après-déportation, entre survie et silence

Jusqu’au 31 août, le musée de la Résistance et de la Déportation de Lorris propose une exposition consacrée au retour des déportés en 1945. Conçue à partir de panneaux réalisés par les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD) et enrichie de documents locaux, l’exposition raconte ce moment où l’horreur prend fin, mais où tout ne redémarre pas pour autant.

Documents et objets exposés (ceinture fabriquée clandestinement dans un camp, valises – objets de l’hypothétique retour –, uniforme de déporté) sont issus des réserves du musée et de dons de familles avec lesquelles le musée est en relation – photo Izabel Tognarelli


Par Izabel Tognarelli.


À Paris, à partir de fin avril 1945, l’hôtel Lutetia devient le point d’accueil des déportés. Résistants, personnes d’origine juive, ceux qui ont survécu à la déportation reviennent par vagues, jusqu’à l’été, mais dans un pays qui a déjà la tête ailleurs. « En France, c’est un moment de bouillonnement : on est dans la foulée de la libération, l’ambiance est à la fête », explique Aude Raimbault, chargée des collections. « Certes, il y a les difficultés du quotidien, mais c’est un moment où les gens – enfin libérés – veulent faire la fête, et ces déportés reviennent avec toutes leurs souffrances. La population ne veut plus entendre parler de la guerre, dont ces anciens déportés incarnent la manifestation vivante des pires horreurs commises ». La fracture est totale, elle va accentuer les difficultés à retrouver une place « normale » dans la société. Cette exposition met en lumière ceux qui ont aidé, attendu, espéré – ainsi que les combats menés – pour reconstruire des vies brisées.

Le choc et le silence

Les panneaux donnent à voir des documents, des images, mais surtout, ils laissent une large place à la parole des survivants, de leurs proches, de ceux qui les ont accueillis. Le choc du retour se lit dans les corps brisés, les esprits dévastés, les retours différés, par l’hospitalisation ou l’éloignement. Beaucoup ne survivent que quelques semaines ou quelques mois. Ainsi lit-on la lettre de Gérard Leclerc, évadé d’une marche de la mort : sans force, sa sœur trace pour lui les mots, qu’il veut rassurants, à l’attention de Robert Berthelot, compagnon d’infortune. Seules les trois dernières lignes sont de sa main. Mais il meurt rapidement de la tuberculose. Citons également Lucien Laloeuf, résistant de 21 ans, 40 kilos à son retour : « Je n’éprouve même pas de plaisir à être libéré. » Certains sont en proie au syndrome du survivant : ils éprouvent de la honte à avoir survécu alors que leurs camarades sont morts.

Complétée par les objets issus des réserves du musée et de familles locales, l’exposition donne un visage au retour – photo Izabel Tognarelli

Quand revenir devient une épreuve

À côté de ces récits individuels, l’exposition éclaire les mécanismes collectifs : l’absence d’infrastructure pour les accueillir, la lenteur administrative, le désarroi des familles. Au Lutetia, les murs étaient couverts de milliers d’avis de recherche. L’exposition de Lorris fait référence à ces fiches comportant noms, prénoms, date d’arrestation, déclinées avec les documents issus du musée. « Le Loiret compte plusieurs milliers de déportés, poursuit Aude Raimbault. Pour constituer ce mur des disparus, nous avons fait le choix de ne faire figurer que ceux qui ne sont pas revenus de déportation et dont nous avions un portrait. Cela permet de mettre un visage sur ces destins et ces disparitions ».

Le musée montre aussi les enjeux spécifiques aux déportés d’origine juive : souvent seuls survivants de familles entières, ils doivent en plus affronter les spoliations, qui génèrent une absence totale de repères. Des associations émergent alors pour guider les uns et les autres dans cette transition impossible, afin de les aider à obtenir une pension, retrouver un emploi, une dignité.

Cette exposition montre que survivre n’était pas un soulagement, mais un autre combat, pour réapprendre à vivre, ou simplement à rester debout – photo Izabel Tognarelli

Un saut générationnel

Dans leur immense majorité, les survivants de la déportation se sont tus. Ceux qui ont parlé les premiers l’ont fait pour les procès qui se préparaient, notamment Nuremberg. D’autres attendront beaucoup plus tard. « Souvent, ils n’ont commencé à parler qu’à leurs petits-enfants. Mais dans l’ensemble, ceux qui se sont exprimés sur ce qu’ils ont vécu restent une minorité », conclut Aude Raimbault.

Tous ces panneaux sont accessibles sur le site Lutetia 1945 https://lutetia.info/

Si l’exposition actuelle se concentre sur le retour des déportés, il ne faut pas oublier les autres absents de longue durée : les prisonniers de guerre, accueillis alors à la gare d’Orsay (actuel musée d’Orsay). Anciens combattants, défaits en juin 1940, ils rentrent eux aussi en 1945, après cinq années de captivité (et six années d’éloignement de leurs familles), souvent en Allemagne. Leur réinsertion fut également complexe, entre décalage familial, silence intérieur et marginalisation dans la mémoire collective. Aborder cet autre difficile retour pourrait constituer un second volet nécessaire à cette exposition, pour donner toute son ampleur à la question du « retour » après la guerre, sous ses différentes formes.

Musée départemental de la Résistance et de la Déportation de Lorris

Esplanade Charles de Gaulle, 45260 Lorris – www.museelorris.frformulaire de contact

Jusqu’au 31 août, le musée est ouvert tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h. Fermeture hebdomadaire les lundis sauf jour férié. Ensuite, le musée ouvre avec d’autres horaires jusqu’à fin septembre, pour ensuite rouvrir ses portes au 1er avril.

Plein tarif (adulte à partir de 18 ans) : 6 € ; tarifs réduits : 2 €. Gratuit pour les enfants de moins de 6 ans, les accompagnateurs de personnes en situation de handicap, les anciens combattants et déportés (sur présentation de la carte) et les donateurs.


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