Le littoral se protège… et le Conservatoire aussi !

Gardien discret de nos rivages depuis un demi-siècle, le Conservatoire du littoral est aujourd’hui menacé. En effet, un rapport sénatorial remet son existence en question.

L'Ile d'Aix en Charente-Maritime
L’Ile d’Aix en Charente-Maritime, un territoire à préserver.


Par Philippe Voisin.


De nombreux vacanciers ont choisi le bord de mer cet été. Notamment le rivage atlantique où beaucoup d’espaces ont préservé leur caractère naturel. C’est souvent grâce à l’action mal connue du Conservatoire du littoral qui permet depuis 50 ans de limiter la privatisation et la bétonisation des côtes. Or, cette agence de l’État est dans le viseur d’un rapport sénatorial qui réclame sa suppression.

En 50 ans, que de chemins balisés !

5 500 km en France hexagonale et 3 300 km en outre-mer, 840 sites sur plus de 220 000 ha du littoral ont été préservés pour tous et pour toujours ! C’est le slogan du Conservatoire du littoral qui discrètement protège nos côtes de l’urbanisation croissante. Il y a 50 ans, la France prenait la décision courageuse et unique en Europe d’acquérir les sites les plus vulnérables pour les valoriser et les rendre accessibles à tous. C’était l’objectif de la loi du 10 juillet 1975 portant sur la création d’un établissement public dont la mission est « d’acquérir des parcelles du littoral menacées par l’urbanisation ou dégradées pour en faire des sites restaurés, aménagés et accueillants dans le respect des équilibres naturels ». Un modèle visionnaire qui a prouvé son efficacité et qui reste indispensable à la sauvegarde de nos rivages devant la menace de la montée des eaux.

Alors, fort de cette réussite, depuis le début de l’année, dans les bureaux du siège du Conservatoire à Rochefort, on coordonne les festivités commémoratives qui se déroulent du Pas-de-Calais au Cap Corse, de Saint-Martin à Saint-Laurent-du-Maroni, de Tsingoni à Saint-Louis de La Réunion. Au total, 150 événements sont labellisés « un littoral en commun ».

Sur le site de Moëze-Brouage (17), le trait de côté est menacé par la montée du niveau de l’océan. ©PV

Et puis patatras !

Au printemps, premier coup de corne à l’occasion de la discussion du projet de loi de simplification économique, un amendement (rejeté) inscrit le Conservatoire sur la longue liste des organismes publics à supprimer. Deuxième coup le 1er juillet dernier avec la publication d’un rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les missions des agences de l’État qui recommande une réorganisation complète. Le Conservatoire serait supprimé !

C’est l’incompréhension et l’inquiétude. Pourtant, depuis un demi-siècle, cette politique d’acquisition foncière bénéficie d’un large consensus, fondée sur la concertation et le partenariat local. Avec 40 millions de visiteurs chaque année, les zones aménagées attirent un public nombreux et sensibilisé à la défense du patrimoine. Alors, la présidente du Conseil d’administration du Conservatoire, Agnès Langevine, également vice-présidente écologiste du Conseil régional d’Occitanie, lance une pétition1 qui a recueilli aujourd’hui près de 24 000 signatures. On y trouve la plupart des élus maritimes de gauche comme de droite, comme Frédéric Cuvillier ou Jean-Marie Léonetti et des personnalités publiques comme Stéphane Bern ou Isabelle Autissier.

  1. Pétition sur Change.org « Protégeons ensemble nos littoraux, soutenons le Conservatoire du littoral ».

Bayrou est sur un bateau

Le Premier ministre, alerté par un courrier de l’association nationale des élus littoraux le 7 juillet dernier qui déplore l’absence de mesures concrètes face aux bouleversements climatiques, a senti le vent du boulet. En visite à l’Arsenal de Rochefort, jeudi 7 août, après avoir été attentif à l’exposition retraçant les 50 années du Conservatoire, il a rencontré ses représentants et ses salariés qu’il a tenté de rassurer.

Visite de François Bayrou à Rochefort le jeudi 7 août (à droite, Agnès Langevine présidente du Conservatoire) – ©Conservatoire du littoral


Sur le bateau qui le conduisait sur l’île d’Aix, dernière demeure de Napoléon avant son exil à Sainte-Hélène, dans le fort Liédot restauré, un exemple de collaboration réussie entre les collectivités locales et l’État, il déclarait : « Le Conservatoire, on le protège ! ». Petite phrase suffisante pour maintenir la motivation des dirigeants du Conservatoire : « Fidèle à notre engagement, nous poursuivons notre action avec la même détermination ». Moins d’enthousiasme de la part du Syndicat National de l’Environnement (SNE-FSU) : « On sait que derrière les mutualisations, il y a des suppressions de postes alors que les moyens humains sont aussi indispensables que les moyens financiers pour poursuivre nos missions ». 900 agents et gardes du littoral sont salariés de l’établissement public.

Agencification versus administration centrale

Le calendrier choisi pour annoncer la réorganisation du Conservatoire en même temps que la commémoration de sa création est étonnant. L’agence qui s’engageait sur la voie du développement des partenariats, sur l’aménagement des sites, sur l’amélioration de l’accueil du public et sur les actions de protection de la biodiversité se trouve brutalement remise en cause dans son fonctionnement. En fait, elle subit le changement radical de doctrine politique des actions publiques en stoppant le mouvement d’« agencification » engagé depuis la fin du siècle dernier.

Ce barbarisme porté pendant plusieurs décennies comme l’outil magique de gestion des finances publiques était synonyme d’efficacité. Inspirée des techniques de management néo-libérale, l’agencification est vue comme une manière de gérer avec plus de souplesse et de productivité, au plus près des réalités de terrain. L’État a multiplié les structures qui sont devenues aujourd’hui opaques, parfois incontrôlables en l’absence de pilotage du pouvoir exécutif, dit le rapport sénatorial. Aujourd’hui, face à l’ampleur des déficits budgétaires, c’est devenu le concept à abattre dans les cénacles des élites parisiennes. La tendance lourde est le retour à la puissance de l’État. C’est le ministère de tutelle ou le préfet qui décide et qui doit contrôler.

« L’État doit exercer une tutelle plus efficace sur ses agences. Il doit se réapproprier son rôle d’employeur unique ». Simplification pour économiser les frais de fonctionnement : une réduction de 8 % de ces coûts se traduirait par une économie de 2,2 milliards d’euros. Le diable se glisse dans les détails. D’autres agences sont visées : regroupement de l’AFPA et du GRETA, fusion de l’Agence Nationale du Sport dans l’INSEP. Rattachement des CROUS dans une direction nationale, suppression du Pass Culture… Fusionner, supprimer, transférer. Voilà la stratégie recommandée par les sénateurs pour aider le gouvernement de François Bayrou à trouver des milliards.

Agences de l’État : le grand ménage ?

Présidée par Pierre Barros (groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky), rapporteuse Christine Lavarde (groupe Les Républicains), la commission d’enquête a effectué :

  • 64 heures d’auditions plénières avec 91 personnalités entendues,
  • 25 auditions « rapporteur »,
  • deux déplacements en région,
  • une étude de législation comparée et la lecture de centaines de rapports publics ou confidentiels pour publier une cartographie que l’État lui-même était incapable de réaliser.

Elle déplore la pluralité des statuts juridiques dont les définitions restent floues. (EPA, EPIC, GIP…)

Elle a rédigé 61 recommandations pour réorganiser la gestion de la dépense publique.

Elle préconise que l’État doit réaffirmer et se réapproprier son rôle d’employeur unique. Ce renforcement de la tutelle peut s’appuyer sur les leviers principaux suivants : clarification et unification ; responsabilisation et contractualisation. Si le montant important des charges de personnel et des dépenses de fonctionnement peut laisser entrevoir des gisements conséquents d’économies, un tel effort ne pourrait être à missions constantes, dans la mesure où les missions peuvent rarement être réalisées sans personnel et sans moyens de fonctionnement.


A lire :

La sénatrice Pauline Martin en version Musk

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