Scène d’émeute et de pillage, forces de l’ordre impuissantes et le maire destitué à Sury-aux-Bois

Les événements se sont déroulés au niveau du pont qui relie les deux rives du canal d’Orléans et autorise l’accès au centre bourg de Sury-aux-Bois dont on aperçoit le clocher.

Le pont de Sury-aux-Bois cl PC



Par Patrick Communal.


En octobre 1846, la Loire est en crue, les terres sont inondées. L’hiver suivant est terrible et, début mars, la gelée détruit les bourgeons. On ne trouve plus ni grain ni farine sur les marchés, l’effet de panique, la peur de manquer de denrées provoque une surenchère de la demande de la part des plus riches, accélérant la pénurie. On ouvre des souscriptions de bienfaisance, à Orléans sont distribués des secours aux indigents. Le mercredi 17 mars 1847, au petit matin, avant même le lever du jour, vers 4 h 00, les villages de la forêt sont en proie à une vive effervescence ; une rumeur s’est répandue : « On distribue gratuitement du blé à Sury-aux-Bois ! »

Une horde famélique

Alors ils se sont mis en route, hommes et femmes, trainant leurs enfants, ils sont maigres, vêtus de blouses déchirées, nus-pieds dans leurs sabots, avec la faim qui brûle le ventre. La disette fait des ravages et ici, ils n’ont pas droit aux bons de pain distribués à Orléans, Montargis, Pithiviers.

La horde famélique qui grossit constamment atteint 400 personnes à la hauteur du canal à Sury. « Elle est là ! » On l’aperçoit maintenant cette péniche avec son chargement : 167 sacs, 26 tonnes de farine destinées à des boulangers de Briare, sur les flancs du bateau un nom : le Rouennais, c’est le marinier Groslier qui pilote la précieuse embarcation. Trente fantassins ont pris place à bord et de chaque côté du canal, deux détachements, l’un de hussards, l’autre de gendarmes, progressent lentement pour en défendre les abords. À la vue de la troupe, des cris s’élèvent : « Nous voulons du pain ! Du pain ou la mort ! » Tous ont un sac vide à la main. Les soldats font rouler le tambour, aussitôt, un manifestant se détache et sonne le tocsin du clocher tout proche ; il s’appelle Baptiste Goberville, un solide gaillard dont la haute stature domine le groupe. Les plus décidés s’emparent des cordes qui servent au halage et tentent d’amarrer la péniche mais ils n’y parviennent pas et sont repoussés, le bateau poursuit doucement sa progression.

À l’approche du pont, les cris redoublent dans une atmosphère de plus en plus tendue. L’officier d’infanterie fait charger les fusils, le lieutenant de gendarmerie Goy envoie chercher du renfort à Lorris. La péniche s’immobilise au milieu du canal. Le rassemblement semble se dissiper, les hommes disparaissent dans les bois qui bordent chaque rive, seules les femmes et les enfants demeurent sur place. Pensant avoir intimidé la foule, après une pause d’une heure, le lieutenant Goy fait avancer le bateau. Mais le regroupement se reconstitue sur le pont qui devient noir de monde. Baptiste Goberville s’adresse d’une voix forte aux soldats : « Nous ne nous laisserons pas mourir de faim, nous, nos femmes et nos enfants ! Vous êtes Français comme nous, vous ne tirerez pas. »

« Ils avaient tous des figures décomposées… »

Le lieutenant Goy hésite, officier courageux avec d’excellents états de service, il n’est pas entré dans la carrière militaire pour tirer sur des malheureux. Il consulte le maire de Sury-aux-Bois, présent sur place, lui non plus ne veut pas prendre la responsabilité de faire ouvrir le feu. La troupe elle-même est partagée, certains sont effrayés par le spectacle de ces hommes et de ces femmes aux visages marqués par la malnutrition. Un maréchal des logis témoignera : « Ils avaient tous des figures décomposées, les yeux leur sortaient de la tête, l’écume de la bouche… » Beaucoup de soldats sont pris de compassion et lorsqu’ils croisent les baïonnettes pour arrêter la foule, les femmes se précipitent au premier rang avec leurs enfants et tendent la poitrine.

Les émeutiers entreprennent la destruction du tablier du pont, Goberville se suspend aux poutres saillantes et tente de sauter sur le bateau. Des soldats s’interposent, il les repousse d’un coup de pied, monte sur la péniche, apostrophe le marinier et lui réclame sa bourde, cet étai qui sert à l’amarrage. « Tenez, la voilà mon ami. »

Un coup ferme et le bateau touche le bord, immédiatement envahi, les baïonnettes n’arrêtent plus les assaillants bien supérieurs en nombre. On entreprend le déchargement, le partage de la marchandise s’effectue de manière équitable en présence du maire et des soldats désormais spectateurs passifs. Les plus affamés mangent avec avidité la farine sans attendre la cuisson du pain. En une heure tout est terminé, il n’est pas midi quand chacun se retire.
Les sanctions tombent, le maire de Sury est destitué, le brave lieutenant Goy est muté par l’autorité militaire au plus profond des Basses-Alpes. La presse prend sa défense : « Au nom de l’humanité, nous remercions, nous, la force armée de la modération dont elle a fait preuve. Il vaut encore mieux le grain pillé que le sang répandu », écrit le Journal du Loiret.

Mémoire en sommeil

Des incertitudes demeurent à l’ouverture du procès, le 22 mai 1847 ; on se souvient d’évènements similaires survenus à Buzançais en Berry quelques mois plus tôt à la suite desquels les assises de l’Indre ont prononcé trois condamnations à mort. Le réquisitoire implacable du procureur général d’Orléans est un hymne au respect de l’ordre et du droit de propriété, écartant la misère comme excuse absolutoire mais Maître de la Taille, à l’issue d’une brillante plaidoirie, obtient l’acquittement d’une majorité de prévenus, quelques peines de principe étant prononcées à l’encontre des meneurs.
Dans moins d’un an, Paris va se couvrir de barricades et renverser le dernier roi de France, le département du Loiret, malgré le vote conservateur de la Beauce, enverra siéger à l’assemblée constituante Victor Considerant, l’un des précurseurs du socialisme.

Le Département du Loiret a réalisé une très belle véloroute le long du chemin de halage du canal d’Orléans dont on tombe volontiers amoureux et près du pont de Sury-aux-Bois, un espace de repos pour les cyclotouristes, un panneau didactique donne quelques informations historiques et géographiques, mais on ne trouve rien sur ces événements. Rien non plus en circulant dans le centre du bourg autour de l’église et de la mairie. Mais il n’est pas trop tard pour que cette histoire belle et tragique retrouve sa place dans la mémoire collective et puisse faire un jour l’objet d’un spectacle vivant au pont de Sury-aux-Bois auquel on viendrait assister à vélo.


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