Consul de Suède à Paris en 1944, Raoul Nordling joua un rôle décisif au moment de la Libération. Derrière la figure historique, Anne Hutchings – sa petite-nièce – se souvient surtout d’un oncle simple et chaleureux, lié à jamais au village de Cepoy, près de Montargis.
Raoul Nordling, un homme simple et attachant – photo raoul-nordling.com ©DR
Par Izabel Tognarelli.
À l’écran, il apparaît sous les traits puissants d’Orson Welles (Paris brûle-t-il ? film de René Clément, 1966) ou la sobriété d’André Dussollier (Diplomatie, pièce de Cyril Gély, portée au cinéma par Volker Schlöndorff en 2014). Mais pour Anne Hutchings, Raoul Nordling n’était pas un personnage de cinéma : il était son grand-oncle, homme attentif et bienveillant qu’elle retrouvait dans la maison familiale de Cepoy. « C’était le grand homme de la famille, mais c’était aussi quelqu’un de joyeux et qui faisait des blagues assez caustiques ». Ses venues dans le petit village gâtinais étaient irrégulières mais toujours attendues. « Quand il arrivait, c’était le branle-bas de combat. On préparait sa chambre qui était, naturellement, la plus belle et la plus grande. Les enfants dînaient avant ; mais plus grands, nous avions le droit de déjeuner en bout de table, et d’écouter ».
Anne Hutchings garde le souvenir d’un homme simple et attachant, qui n’oublia jamais sa famille malgré ses responsabilités. « J’ai perdu mon père quand j’avais 11 ans. Ma sœur aînée s’est mariée très peu de temps après : c’est notre oncle qui l’a conduite à l’église pour son mariage. Ensuite, il a été très attentif envers ma mère, mon frère et moi. Il nous invitait presque tous les dimanches dans sa maison d’Orgeval. Ce fut l’occasion pour moi de mieux le connaître », confie-t-elle.
Raoul Nordling, au balcon du consulat de Suède à Paris, rue d’Anjou – photo raoul-nordling.com ©DR
Un diplomate suédois au cœur français
L’Histoire a retenu ses négociations avec le général von Choltitz, gouverneur de Paris, qui aboutirent à la libération de milliers de prisonniers et à l’abandon du projet de destruction des ponts et monuments de la capitale. « Nous autres, enfants, nous nous sommes rendu compte plus tard de l’importance de son rôle pendant la guerre », poursuit Anne Hutchings. « J’ai le souvenir de l’avoir entendu dire que, de tout ce qu’il avait fait, ce qui avait le plus compté à ses yeux, c’était tous ces prisonniers dont il avait permis la libération ».
En août 1944, Raoul Nordling a, parmi ses missions, celle de rencontrer le Général Leclerc afin qu’il fasse route sur Paris au lieu de contourner la capitale. Victime d’un infarctus, il fut aussitôt relayé par son jeune frère Rolf, avant de reprendre très vite ses activités. Le 24 août, la division du général Leclerc commença à entrer dans la capitale. Ce même jour, von Choltitz se rendit aux Alliés.
Le manuscrit oublié d’un diplomate blessé
Anne Hutchings nous raconte comment, après la libération de Paris, son grand-oncle fut convoqué par le roi de Suède Gustaf V. La Suède avait maintenu des relations commerciales avec l’Allemagne et revendiquait sa neutralité. Or Raoul Nordling, bien que diplomate suédois, avait grandi en France. Enfant, il fréquenta l’école de Cepoy, une partie de l’année, quand la famille y prenait ses quartiers d’été. Plus tard, sa scolarité se déroula au lycée Janson-de-Sailly. À 21 ans, il choisit la nationalité suédoise afin de succéder à son père, Karl Gustaf Nordling, consul de Suède et de Norvège. Il partit faire son service militaire en Suède afin de parfaire une langue qu’il parlait avec un accent français marqué. Mais dans ses interventions au cours de la guerre, c’est bien son cœur français qui s’exprimait, et non le neutre représentant d’un État scandinave. Le roi lui reprocha d’avoir outrepassé ses fonctions de diplomate, critique qui le blessa durablement.
Raoul Nordling a tenu un carnet de bord, consignant au jour le jour la tournure des événements. Dévasté par la réprobation royale, il rangea son manuscrit dans un coffre où il resta oublié jusqu’à sa redécouverte, en 1995, plus de trente ans après sa mort. Le livre Sauver Paris, mémoires du consul de Suède fut publié en 2002 par les Éditions Complexe, préfacé et annoté par Fabrice Virgili, historien, spécialiste des deux guerres mondiales.
Anne Hutchings avait une quinzaine d’années lorsqu’elle assista, bouleversée, aux obsèques de son grand-oncle en 1962, au Temple de l’Annonciation à Paris. La garde républicaine était présente. « Nous avons toujours vécu dans la fierté et le souvenir de sa modestie, qui le rendait si sympathique. Il ne jouait pas du tout les héros : nous l’aimions beaucoup pour cela, tout en étant un peu intimidés. C’était quelqu’un de vraiment très attachant : il reste une ombre tutélaire pour toute la famille ».
Remerciements à Anne Hutchings et à Alexis Fiévet pour leur accueil dans leur maison de Cepoy et pour le temps qu’ils nous ont accordé
Raoul Nordling a été fait citoyen d’honneur de la Ville de Paris et a reçu la Grand-croix de la Légion d’honneur, entre autres distinctions – photo raoul-nordling.com ©DR
Le fil rouge de Cepoy
L’attachement des Nordling à Cepoy remonte à la fin du XIXᵉ siècle, quand Karl Gustaf Nordling, père de Raoul, s’y installe après être venu en France pour apprendre la langue. Il y achète une maison qui devient le cœur de la famille, partagée entre Paris et les longs étés à la campagne. Raoul et son frère Rolf y jouent un rôle central, accueillant parents et amis. Leur sœur Alice Fiévet, conseillère municipale pendant trente ans à Cepoy, y résidait aussi.
De génération en génération, Cepoy reste le point de ralliement familial, été comme hiver. Raoul et son père reposent, au cimetière du village, tout comme d’autres membres de la famille. L’attachement est réciproque : le stade de football porte le nom de Raoul Nordling ; une Maison de la Suède a été inaugurée en 2011 ; Cepoy est jumelé avec Dals-Ed, en Suède. « Nous sommes très reconnaissants au village d’honorer la mémoire de Raoul Nordling », souligne Anne Hutchings.
Plus d’infos autrement :
Vive le Gâtinais libre !