Le juin 1968 d’Emmanuel Macron

Toujours aussi affaibli et – pire pour un tel mégalomane – toujours aussi impuissant, Emmanuel Macron rentre dans une nouvelle période d’agitation et d’inconnues. Incapable d’anticiper ce que sera le mouvement du 10 septembre, le président se prépare un scénario gaullien façon 1968. Le script en est simple : surjouer le risque de chaos et se poser en seul défenseur de l’ordre. Mais n’est pas De Gaulle qui veut.

La manifestation de soutien au général de Gaulle, le 30 mai 1968. sce Wiki


Par Joséphine.


Mon amie la peur

C’est le fonds de commerce de Macron, répété ad nauseam depuis trois ans : l’heure est grave, la guerre est à nos portes avec la menace russe, l’ultra-gauche mélenchono-black-bloc veut tout casser. Le cocktail de l’ennemi de l’extérieur et de l’intérieur, le spectre de la faillite, le besoin d’Union Sacrée, tout y est. Et dans cet océan déchaîné, le macronisme est, bien entendu, un phare incandescent de stabilité. Stabilité économique en garantissant une douce fiscalité aux premiers de cordée et à leurs assemblées générales d’actionnaires. Stabilité sociale avec l’aide de la maréchaussée le cas échéant, lorsque Gilets Jaunes ou opposants à la retraite à 64 ans manifestent.

Difficile pour l’instant de savoir si c’est Emmanuel Macron lui-même qui a poussé François Bayrou vers la sortie ou si ce dernier, fatigué d’avance à l’idée de faire des compromis sur le plan d’économies concocté par Bercy, préfère partir sans l’humiliation d’être dégommé par une censure comme le premier Michel Barnier venu. Demander un vote de confiance serait donc une sortie plus honorable et vu le nombre d’occurrences dans les médias de l’expression « partir avec panache » – un élément de langage manifestement porté par Matignon –, il semble que Bayrou fasse des coquetteries pour son départ.

Bref, et ensuite ?

Déjà, il est possible que Bayrou cherche tout de même ces prochains jours à donner des gages au PS et au RN pour essayer de se maintenir, même si sa chute semble inéluctable. Avec le niveau d’impopularité du Premier ministre, le peu de marge de manœuvre qu’il offre et la peur des partis d’opposition de se voir reprocher par leurs électeurs une trop grande complaisance envers la queue de comète du macronisme, l’affaire est pliée. Cela dit, la branche droite du socialisme incarnée par François Hollande, Jérôme Guedj et Philippe Brun, pousse pour proposer tout de même un plan, histoire de se démarquer de LFI et de sembler plus « constructifs » auprès de l’opinion. Il s’agirait selon eux de couper la poire en deux : 20 milliards d’économies, 20 milliards de prélèvements sur les plus grandes fortunes. Rien à voir avec « un manuel du parfait petit gauchiste », rassure Guedj dans la presse. Ouf.

Se posera ensuite et surtout la question du déroulement de la journée de mobilisation du 10 septembre et de ses suites. Si l’événement fait pschitt, la gauche qui a appelé à soutenir le mouvement sortira affaiblie. Et d’autant plus LFI qui compte capitaliser sur la colère diffuse d’une large frange de la population. Mais si la journée est une réussite, on peut compter sur deux-trois vitrines cassées, l’envoi des CRS pour aller au contact et donc des images anxiogènes en boucle sur les chaînes d’info en continu. Et là : jackpot.

La grande inconnue du 10 septembre

Dans le premier cas de figure, avec une rentrée sociale finalement calme, Macron pourrait déployer un récit sur l’irresponsabilité des partis politiques qui ont eu la tête de Bayrou alors que le pays, lui, sait qu’il y a des sacrifices à réaliser. Un gouvernement dit technique, avec un bon petit soldat bien à droite et sans envergure genre Sébastien Lecornu, pourrait proposer un budget d’austérité avec l’appui tacite d’un RN échaudé par la séquence.

Mais dans la seconde hypothèse, Emmanuel Macron pourrait dégainer l’article 16 de la Constitution et exercer quelque temps les pleins pouvoirs – imposant donc un budget – en se fondant sur la « chienlit » et sur le risque majeur pour la France de ces troubles, et ce avec les chars russes prêts à déferler depuis Moscou. L’article 16 est d’ailleurs un scénario que le président a lui-même évoqué le 26 août en fin de journée dans la presse.

L’homme de la situation

Dans cette configuration d’agitation sociale, une dissolution pourrait intervenir à court terme pour tirer profit de la situation : une gauche fracturée depuis quelques mois qui se déchirerait davantage encore sur la question de son rapport à un mouvement qui pourrait se montrer violent et rétif aux manifestations entre Bastille et Nation derrière le char de la CFDT qui passe du Manu Chao ; un RN discrédité par ses contradictions, ayant voté pour dégommer Bayrou mais refusant de s’associer clairement au 10 septembre, le tout sans Marine Le Pen, inéligible, qui ne pourrait mener ses troupes.

On comprend donc que Macron a tout intérêt à continuer sa politique de la peur et de l’alarmisme tous azimuts afin d’hystériser le moment, diviser la gauche et mettre en scène sa coalition Renaissance-Horizons-Modem-LR comme le parti de l’ordre face à des formations politiques complices du chaos. C’est aussi comme ça qu’il faut comprendre les tirades de plus en plus appuyées sur la dette, l’angoisse de la dégradation de la note de la France et la baisse du CAC40.

Mai 68 pour les nuls

Comme De Gaulle après son retour de Baden-Baden le 29 mai au soir à la suite de sa courte disparition mise en scène pour faire trembler dans les chaumières, Emmanuel Macron pourra alors, pense-t-il, se poser en homme fort, s’adresser solennellement aux Français et continuer sa politique économique austéritaire totalement dogmatique et hors-sol, l’habillant de « bon sens », de « courage », de « pragmatisme ». Il pourra ainsi rassurer les milieux d’affaires qui ont fait sa victoire de 2017 et qui ont bénéficié depuis des années d’allégements fiscaux qui expliquent, du reste, l’essentiel de l’augmentation récente de la dette par la baisse des recettes.

Sauf qu’en bon énarque, même si Emmanuel Macron se sent fin connaisseur de l’Histoire, il n’a pas dû lire intégralement la fiche sur mai 68 qu’un collaborateur lui a pondu. Car la résolution de la crise par De Gaulle à l’époque repose sur deux jambes. D’une part, c’est vrai que Mongénéral a joué de la peur d’une cinquième colonne soviétique et du désordre dans les rues pour offrir une écrasante victoire à sa majorité après une dissolution, fin juin 1968. Mais d’autre part, il a surtout aussi été capable de larges concessions en signant les Accords de Grenelle avec les syndicats, sous le regard bienveillant d’un PCF effrayé de voir le mouvement étudiant lui échapper. Ainsi, augmentations substantielles des bas salaires, développement des droits syndicaux dans les entreprises et négociations sur les allocations ont permis de désamorcer la dimension sociale de la crise.

L’approche de Macron semble donc quelque peu boiteuse. Mais bon, négocier avec ces traîne-savates de syndicalistes, mis systématiquement de côté depuis 7 ans ? Trop mesquin. Pas assez Jupitérien.


Plus d’infos autrement :

Université d’été du PS : l’espoir est de retour à gauche

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. Quand on discute avec des vrais gens plutôt que des éditorialistes et des chroniqueurs de plateaux télé et autres experts, on observe que toutes tendances politiques confondues, chacun trouve un peu fort de café de voir des politiciens qui sont au pouvoir depuis des lustres venir nous faire la morale et nous expliquer que si la France est en faillite, c’est de notre faute à tous, surtout les boomers, pour nous être gobergés au-delà des moyens du pays quand c’est la politique menée par ces donneurs de leçons qui est la cause de la situation et que c’est aux travailleurs en activité et aux retraités qu’on présente la facture et pas à ceux qui ont bénéficié des largesses fiscales ayant privé l’Etat des ressources qui lui étaient indispensables. Dans cette période, les riches, entendez les actionnaires, se sont considérablement enrichis alors que les salaires étaient majoritairement ramenés au plus proche du minimum légal. Mais énoncer ces réalités basiques, parler des inégalités, c’est sombrer dans la vulgarité populiste n’est-ce pas ?

  2. La situation générale nécessiterait une autre approche que celle ci trop centrée sur le jeu des politiciens. De Gaulle a fini par dégager en 69, le système économico politique a perduré. Aujourd’hui c’est la question de la survie de ce système qui est en jeu et pas seulement en France. C’est plus complexe à traiter.
    PS A Grenelle personne n’a signé d’accord, il faut le rappeler combien de fois ?

  3. Leur premier chef d’atelier Bayrou est viré, leur DRH (Macron) ne dissout pas l’assemblée et il l’a annoncé mi-aôut, leur équipe de branquignoles grassement privilégiés ( leurs ministres) gère les affaires courantes.
    Après le 10 septembre étant donné les “émeutes” ( leurs forces de maintien de leur ordre sont là pour et générer et réprimer) leur chef de production (leur DRH à multiples vestes) utilise l’article 16 de leur règlement intérieur ( à l’usage de ceux qui font pas partie de leur monde) et instaure l’état d’urgence ( déjà en place ? ) et si nécessaire l’état de siège avec les mêmes soldats que pour le plan Pirate avec les mêmes cranes rasés, les mêmes mitraillettes et les mêmes lunettes de soleil.
    Et tout ça pour qu’ils puissent ramasser encore un peu de pognon avant que la nature ( car si les catastrophes climatiques sont la conséquence des excès des capitalistes elles sont générés par des phénomènes naturels) ne nous mette presque tous dans la même situation : survivre.
    Asta luego, à plus tard, aufwiedersehen, bye bye…

  4. Bonjour, hier je me suis arrêté à ma librairie préférée que je ne nommerai pas mais elle est en face de la statue de la Pucelle. Je voulais m’acheter le livre de Chapoutot « libres d’obéir » et je tombe sur un livre d’Olivier Marleix le député récemment et tragiquement disparu … « les imposteurs » . Bon je suis tout mais sûrement pas de droite mais piqué par la curiosité je prends l’unique exemplaire, en me disant « voyons ce que disait cet homme au destin tragique » et je ne suis pas déçu car l’article ci dessus aurait pu être écrit par cet honnête homme qui tire un portrait politique de ce qui est devenue un monarque entouré d’une cours d’opportunistes rapaces … dans les premières pages du livre je relève cette remarque et il y en a plein d’autres.
    « Ponctionner même ceux qui n’ont pas grand chose marque toujours la fin d’un système… et ça se termine toujours mal» Alain Marleix … les prédateurs Robert Laffont 
    J’ai un faible pour Pompidou moi qui suis Cantalien comme lui expatrié mais à la différence de Macron l’inculte lui a réussi le concours de Normal sup , a travaillé comme fondé de pouvoir chez Rothschild et avez la sagesse en bon auvergnat d’écouter ceux qui sont « des gens qui ne sont rien »
    Vivement que cette parenthèse tragique finisse.
    Avons nous à payer les largesses fiscales et le ruissellement des exonérations vers les plus aisés du Sieur du Touquet ?!?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    17°C
  • vendredi
    • matin 11°C
    • après midi 22°C
Copyright © MagCentre 2012-2025