Des « Chroniques d’Haïfa » feutrées dans un contexte absent

Scandar Copti dresse un film choral où les membres d’une famille palestinienne déclinent des problèmes de nantis coincés dans la tradition. Même si des liens peuvent se tresser entre cette famille et la situation du pays, celui-ci reste pourtant totalement en dehors du film. Peut-on aujourd’hui écarter à ce point cette tragédie pour ne s’intéresser qu’à des privilégiés, réactionnaires et certainement minoritaires ?

Les femmes de la famille palestinienne. Photo Fresco Films-Red Balloon Film.



Par Bernard Cassat.


Une famille palestinienne d’Haïfa, classe nettement supérieure. Et pourtant le père est au bord de la faillite. Le fils apprend que sa petite amie juive est enceinte et n’avortera pas mais se passera du père dans sa vie. Sa sœur prépare son mariage en grande pompe sous la férule de la mère plus qu’autoritaire. Et la fille plus jeune, étudiante à Jérusalem, a un accident qui la menace de révéler un secret qui va lui ruiner sa vie : sa famille va apprendre qu’elle a pris la pilule ! En 2025 !

Une tradition sans faille

Tout le film est à ce niveau-là. Comment s’intéresser à ces gens coincés dans leurs tabous, qui les cultivent et qui ne remettent rien en question ? De longues séquences n’apportent rien : la discussion sur la préparation du mariage où la future mariée ne dit rien, son essayage en famille(s) d’une robe pour la cérémonie, un bon quart d’heure qui n’a d’autre contenu que de dire la tradition poussée à l’extrême de cette famille réactionnaire au possible. On l’avait déjà largement senti.

Shirley, la copine israélienne du frère ainé. Capture bande annonce.


Du côté juif, Shirley, hôtesse de l’air, très peu présente dans le film, est très déçue lorsqu’elle annonce à sa sœur qu’elle va garder le bébé. Car cette sœur ne la soutient pas. On la voit longuement travailler dans un centre anti-allergique, à faire des tests sur des enfants, à vaquer à ses occupations médicales, pour nous permettre d’aborder le problème de sa famille : sa fille déprime, à cause du service militaire qu’elle ne veut pas faire. Cette sœur a au fond le même rôle que Hanan, la mère de la famille palestinienne : l’autorité et la tradition sans faille. Séance de psy absolument dérisoire, défilé militaire pour bien montrer l’horreur des morts. Et puis Shirley apprend qu’elle fait une grossesse nerveuse, qu’il n’y a pas de fœtus. Les sœurs se reparlent.

Fifi et son soupirant. Photo Fresco Films-Red Balloon Film.


Tous ces personnages se débattent dans leurs problèmes personnels, mais il n’y a aucun écho de la situation politique actuelle du pays. Peut-on vraiment faire l’impasse en ce moment ? Peut-on ignorer totalement cette situation ? Certes, les rapports humains et familiaux décrits montrent une violence autoritaire, une incompréhension, un refus de la discussion non sans rapport avec les relations sociales et politiques actuelles. Un personnage porte tout cela jusqu’à la caricature, celui de la mère, Hanan, qui ne veut rien savoir d’autre que sa maison, le mariage de sa fille et la renommée de la famille. Peu importe le réel. C’est elle qui est la plus loin de la situation actuelle du pays, alors qu’elle la symbolise peut-être.

Fifi, la seule à ruer un peu dans les brancards. Photo Fresco Films-Red Balloon Film.


C’est sans doute bien vu sociologiquement, mais ce catalogue de problèmes n’a pas de contenu réel. Seule la fille Fifi, l’étudiante qui elle au moins est passée outre, relève l’intérêt. Interprétée par Manar Shehab, cette jeune femme tente de construire sa vie. On ne peut même pas parler de rebelle, mais c’est la seule qui vit vraiment, en tentant de sortir de l’étouffement familial.

Des acteurs non professionnels

Presque tous les acteurs sont des amateurs, et même des non-professionnels qui jouent leur rôle (médecin, professeur, etc). Cet aspect du film fonctionne bien. Le découpage en chapitres titrés est moins évident. Et les différences de langues employées, arabe et hébreu, sont bien sûr difficiles pour un occidental. Quelques indications des sous-titres aident, mais on perd beaucoup à ne pas pouvoir identifier la langue. La tentative de mélanger les séquences est assez artificielle. Le coup de fil de Fifi, par exemple, pendant la préparation d’un repas de fête. Elle s’isole sur la terrasse, puis revient. On assistera beaucoup plus tard à ce coup de fil où elle rompt avec son fiancé, alors qu’en revenant dans la cuisine, toutes les femmes présentes boivent à la santé du couple. Plusieurs exploitations de ce principe n’apportent pas grand-chose au déroulement. Filmer les scènes très en amont, tel le long trajet de Rami qui va rejoindre Sheila, au début, alors qu’on ne sait pas qui est Rami, qui est Sheila et ce qu’ils font ensemble, laisse le spectateur totalement en dehors de ce qu’il voit.

Scandar Copti, réalisateur israélien et palestinien très remarqué avec son film Ajami en 2010, un travail directement politique, passe avec ces Chroniques en mode mineur. Impossible de s’intéresser à ces grands bourgeois et à leurs problèmes dérisoires.


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Commentaires

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  1. Eh oui, même dans un contexte catastrophique il y a des gens qui vivent repliés sur leurs problèmes, ignorant – c’est une image – qu’il pleut des cordes dehors. C’est vieux comme Hérode. Déjà en 14-18 Paris était une fête, dans les tranchées de mon grand-père maternel pas vraiment. Quant au contexte d’actualité, la guerre à Gaza déclenchée par le pogrom du 7 octobre, il ne pouvait pas y être fait allusion dans le film, celui-ci ayant été tourné en 2022.

  2. Une scène pas feutrée , celle où l’on découvre l’endoctrinement de très jeunes enfants, à l’école, appelés entre autre à célébrer bibi bibi …. On songe à” maréchal nous voilà ” imposé en d’autre temps en France.

  3. Pas sûr du tout que vous ayez bien vu le film. En tout cas, je n’ai pas vu le même. Ce qui m’a interressée c’est justement le poids des traditions qui enferme et déchire des familles plutôt ouvertes à l’échange et les empêchent d’avancer.
    Tenir compte aussi de la pression politique exercée par le pouvoir.
    Le film, avec ses va et vient sur les personnages montre bien je trouve la complexité de la situation.
    Et oui Haïfa, Jérusalem ou Gaza avant sa destruction sont des villes “modernes” avec de “belles” voitures, des classes moyennes, des universités…. Ça casse un peu certains de nos clichés

  4. Bien d’accord avec Brigitte. Oui, dans une région en guerre permanente, larvée ou réelle, les gens poursuivent leur vie comme si rien ne pouvait la perturber, ignorant presque la menace, capable de se préoccuper de la seule qualité des ingrédients cuisant dans la poële. Pour avoir partagé un barbecue dans le kibboutz de Kfar Gileï, en frontière du Liban, le rougoiement du barbecue concurrençait timidement le feu d’artifice dans le ciel né de la rencontre entre le dôme de fer Israëlien et les missiles du Hezbollah libanais avant qu’Israël le mette KO. C’est ainsi qu’on vit dans cette région, où au moindre bobo on ne déclenche pas la cellule d’assistance psychologique comme on le fait en France pour les bisounours que nous sommes devenus.

  5. L’auteur de l’article s’est peut être endormi, tant il n’aimait pas! Comme dit Brigitte , nous n’avons pas vu le même film ! Car il n’est pas question de grossesse nerveuse, mais d’une machination ourdie entre deux femmes des deux factions opposées, une gynécologue arabe et une grande sœur juive, tant leur est insupportable la venue d’un enfant d’un couple mixte.
    À l’échographie, elles assurent à la jeune femme qui veut mettre son bébé au monde que celui-ci est mort, alors qu’on voit battre le cœur. On l’avorté. Bizarre qu’un journaliste vertueux n’ait pas compris ça. C’est donc que ce film est bien plus fort et émouvant qu’il l’affirme…à son réveil.

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