Oui hélas, la foire de Maray n’aura pas lieu cette année. C’est peut-être un détail pour vous… et pourtant, dans cette indifférence, il se pourrait que ça en dise beaucoup.
Pas d’étals de légumes, de melons, de fromages et autres saucissons cette année à Marey.
Par Fabrice Simoes.
Ancestrale, la foire de Maray (Loir-et-Cher) n’aura pas lieu cette année. La mairie du village l’a annoncé au cours de l’été. Depuis le Moyen Âge, début du 13ᵉ siècle paraît-il, cette foire épousait le calendrier, conjuguait les saisons et rythmait la reprise d’après l’été. Sauf que, faute de combattants ou plutôt d’exposants, de marchands, de camelots, la foire de Maray n’aura pas lieu ce deuxième samedi de septembre. Autre temps, autres mœurs, le commerce passe désormais par les applications des téléphones et des ordinateurs, les plateformes logistiques et la mondialisation du commerce.
Sur l’écran de la télé, un missile s’encastre dans un immeuble de Kiev. Un autre éventre une ruine au milieu des décombres de Gaza. À la limite, des Ukrainiens, on peut avoir un minimum de compassion. C’est l’Europe même si c’est loin, même si on ne les connaît pas, même si, bon, c’est ben un peu russe si on veut en passer par là… Par contre, des Gazaouis, ce ne sont que des Bédouins installés là depuis des lustres certes, mais à peine chez eux quand même si on lit les textes anciens. Alors, on s’en fout. Cette année la foire de Maray n’aura pas lieu. S’il avait fait soleil, on se serait gavé de melons sucrés à foison. Des gens même pas d’ici… et puis rien que des terroristes, même dans leurs berceaux. On enfourne une cuillère de soupe, on fourchettise une bouchée supplémentaire, tandis que les images se succèdent. « Et ça fait des grands chloups, et ça fait des grands chloups », comme aurait chanté Brel. Qu’est-ce qu’on y peut, nous, finalement, si ces gens viennent mourir sur nos chaînes de télé. Comme les Indiens du général Custer, comme les Incas de Pizarro, comme les Albigeois du légat pontifical Amaury, ils peuvent tous crever. On s’en fout. Cette année la foire de Maray n’aura pas lieu. Si le temps s’était avéré humide, les bottes seraient parties comme des petits pains à l’aube dans la boulangerie du bourg.
Nombrilisme à l’occidental
Demain, on aura déjà oublié, poussé à s’intéresser au prix du chocolat, et des mouilles qui flambent, des patates à 1,50 € la tonne ou de la cueillette des olives en région Paca. Demain, on regardera son assiette, ou peut-être la gamelle du chien ou celle du chat. Aujourd’hui, ces animaux de compagnie mangent pour plus cher qu’un habitué du resto du Cœur du coin. Et alors qu’on emmène ces petites bêtes chez le vétérinaire, on s’enflamme contre la CMU, les assistés au RSA, les fainéants au chômage, et ces étrangers qui encombrent les urgences. Le plus con, c’est que les toubibs qui veulent encore travailler dans ces services-là sont souvent des immigrés. Ne vous inquiétez pas, ils soigneront tout le monde quand même, rageux et sombres imbéciles inclus ! Ça ne coûtera même rien de plus à quiconque. La sécu, c’est vraiment quelque chose quoique puissent en penser les pourfendeurs de charges, ceux qui estiment qu’on paye trop, trop de taxes, trop d’impôts. Ceux-là vont pourtant dans les hôpitaux publics, les écoles publiques aussi.
Définitivement quand on transforme le vocabulaire, quand les cotisations sociales deviennent charges, le monde tout autour peut bien clamser. L’onanisme intellectuel fait fi de ces migrants qui boivent la tasse dans la Manche ou la Méditerranée, de ces Ouïghours en esclavage en Chine, de la misère du monde que, définitivement, on ne peut pas accueillir dans l’Hexagone. Pendant ce temps-là, on regarde son bas-ventre et on se gratte l’entrejambe alors que l’on ne vivrait pas plus mal avec un minimum d’empathie. Peut-être oublier les économies de marché et la dette qui n’en est pas une finalement puisqu’elle ne sera jamais remboursée. Jamais !
Peut-être cesser de se palucher surtout. Sinon, le grand remplacement à la mode Camus, à la mode Zemmour itou, à la mode populiste, viendra toujours polluer nos débats. Les bombeurs de torse et les résistants pathétiques des réseaux sociaux, ceux qui en ont déjà plein la gueule aussi, feront de leur monde le nôtre !
Sur l’écran de la télé, François Bayrou mendie un dernier vote de confiance qu’il sait d’avance ne pas avoir. Il a bien essayé de faire passer les boomers, cette catégorie de vieux de maintenant qui ont commencé à 45 heures de taf par semaine et terminé à 35, pour des égoïstes, mais ça ne pouvait pas marcher. C’est que là, c’est pas parce que la foire de Maray n’aura pas lieu cette année que l’on va s’en foutre…
Les Dernières nouvelles de demain : les cris de femmes qu’on ne veut pas entendre