« Sirat », la force du son dans le vide mortel du désert

Oliver Laxe nous plonge dans une expérience, un voyage de ravers paumés dans le désert marocain. De même que cette musique électronique issue de la techno est vide d’émotion, de même le film n’apporte que peu de sens. Une tragédie abstraite, physiquement dure à supporter quand on n’est pas adepte de ces sons vrillant les tympans.

Luiz (Sergi Lopez) et son fils. Photo Pyramide Distribution.



Par Bernard Cassat.


La musique de rave party est une sorte de techno réduite à sa plus simple expression. Faite pour danser, en tout cas pour bouger son corps en rythme, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, elle se répète à l’infini pour que les ravers puissent tutoyer leurs limites autant physiques que mentales. Souvent aidés de quelques produits stupéfiants, ils ne demandent à la musique qu’une structure bruyante sur laquelle ils se racontent leurs propres histoires. Mais sans les échanger, sans les raconter à d’autres, sans contact ni physique, ni mental. Les sons doivent être forts pour les pénétrer, les traverser et griller leur énergie jusqu’à la transe, des états seconds où le corps et l’esprit ne dialoguent plus que par réflexe. Dans une expérience totalement solitaire.

Pour Sirat, le musicien français Kangding Ray, nom de scène de David Letellier, choisi après casting par le réalisateur franco-espagnol Oliver Laxe, déploie un environnement sonore de rave. Des rumeurs astrales arrivent de l’horizon, s’amplifient pour être dominées soudain par le battement implacable des basses. Des sons de machines qui peuvent durer autant que de besoin, pour une techno brute, viscérale. C’est l’ADN du film.

Les fétards qui vont emmener Luis vers le désert. Photo Pyramide Distribution.


Là-dessus, Laxe met des images de même nature que les sons. Magnifiques, sublimes, des cartes postales somptueuses de désert marocain. C’est plus beau que les plus beaux westerns. Falaises impressionnantes de roches bistres, graphisme incroyable des parois ravinées. Les sons entrent en résonance avec ce paysage désertique qui laisse toute narration inutile. Ces lieux sont en eux-mêmes un pays de délire, d’extase et de folie. Ce que recherchent les ravers.

Dans la foule d’individus en plein office vont se détacher quelques silhouettes repérables. Un manchot, un unijambiste et leurs copains-copines, des silhouettes sorties de Mad Max ou de Dune. Et Luis et son fils, Sergi Lopez complètement incongru et perdu dans ce monde de ravers. Luis recherche sa fille, adepte de cet univers.

Quand l’aventure devient tragique. Photo Pyramide distribution.


L’armée marocaine interrompt la party, et va lancer ces personnages repérés parmi les autres dans un trip effrayant à la recherche d’une deuxième fête plus au sud. En fait, dans une course effrénée vers la mort. Qu’ils trouveront. Pas tous, mais presque. Ce paradis d’images devient un enfer, comme le suggère le titre. Sirat, une voie étroite et risquée entre les deux.

Ces ravers ne se racontent pas sur cette musique étouffante. Les teufs, comme ils les nomment, sont totalement sans paroles. Des Marocains, on ne voit que l’armée, un berger et à la fin, un drôle de convoi qui ramène les survivants vers la civilisation. Peu de choses ont été échangées pendant tout le film. La proposition de mettre la nourriture en commun pour le convoi des trois véhicules fait sourire, tant l’idée de partage est loin du propos, si propos il y a.

Pause avant explosion. Photo Pyramide Distribution.


Cette musique exclut absolument toute émotion. Comme elle, le film ne se déroule pas sur le mode affectif, mais sur celui de l’effroi. La narration est réduite à sa plus simple expression. Les images de routes, de pistes, des véhicules qui foncent dans le désert le jour comme la nuit ne racontent pas. À un moment, on voit dans la nuit les phares des deux camions restants qui semblent ne pas avancer, puisque la caméra roule à la même vitesse. Image vide qui reste longtemps à l’écran. Séquence symbolique de tout le film !

Au milieu de nulle part. Capture bande annonce.


Les personnages ne tiennent que par leur apparence, les filles en gothiques très fermées, les hommes éclopés et usés. Sergi Lopez erre là-dedans comme son personnage Luis dans le désert. Aucune clef n’est donnée, ni qui il est, ni pourquoi il est là. La recherche de sa fille n’est qu’un argument.

Toutes les critiques louent une magnifique expérience, une extraordinaire aventure sonore et visuelle. Certes. Un peu difficile pour les non-ravers quand même. Chacun se racontera sa propre histoire parce que trop répétées, la musique comme les images ont besoin d’un sens pour intéresser. Or cette musique est une version de l’insensé no-future.


Plus d’infos autrement :

Des « Chroniques d’Haïfa » feutrées dans un contexte absent

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    15°C
  • samedi
    • matin 13°C
    • après midi 15°C
Copyright © MagCentre 2012-2025